Voici l'intégralité de mon entretien avec l'écrivain Roland Fuentès, paru dans Sitartmag.
Roland Fuentès a une actualité littéraire chargée.
Remarqué l’an dernier, son excellent Tonton zéro a été suivi de plusieurs romans jeunesse (Les voleurs de vent, Tics olympiques) et adulte (Le mur et l’arpenteur).
Entretien avec un auteur polygraphe à l’imaginaire puissant.
Vous êtes né à Oran, et avez grandi en Algérie : que reste-t-il de cette enfance dans votre imaginaire et votre écriture ?
Mon enfance à Oran, et les liens qui m’unissent aujourd’hui encore à l’Algérie, conditionnent ma façon de voir le monde. De façon plus ou moins consciente, certaines impressions accumulées là-bas, dans l’enfance ou lors de plus récents séjours, influencent mon écriture. Je pense notamment aux ambiances, à l’évocation de certaines sensations, et aussi de certains personnages.
L’imaginaire, justement est très présent dans vos textes. Est-ce un parti-pris d’éviter souvent le strict réalisme ?
C’est vrai, je suis plutôt porté sur l’imaginaire. Avoir vécu à différents endroits, et cotoyé des gens très différents, m’a habitué à la diversité du monde, et des possibles. A maintenir toujours en alerte cette petite veilleuse qui nous dit : « Et si les choses étaient autrement… » et si… C’est pourquoi je suis très attiré par l’insolite, l’étrange ou le cocasse, ainsi qu’on les rencontre chez Kafka, Buzzati, Calvino. J’aime ce qui permet de prendre du recul, de remettre en question certaines évidences. Ceci dit, je ne m’interdis aucune direction, pas même celle du réalisme… L’échange, malgré quelques passages loufoques, est un roman réaliste. Tics olympiques aussi.
On sent aussi une langue travaillée, pleine de trouvailles, savoureuse. Vous aimez manipuler la langue, jouer avec les expressions ?
La langue nous offre des possibilités d’expression infinies. Le pouvoir des mots me fascine : ils nous permettent d’atteindre le lecteur, de le surprendre, de le faire réagir. C’est pour cette même raison que je suis sensible à la diversité des langues, des dialectes, des accents, bref, émerveillé par la multitude de façons de dire les choses.
Vous publiez à un rythme impressionnant : « L’échange », « Tonton zéro », « Les voleurs de vent », « Le mur et l’arpenteur », bientôt « Tics olympiques », etc. Certains sont des textes que vous aviez écrits avant ou vous êtes dans une période particulièrement prolifique ?
Le fait de me consacrer à temps plein à l’écriture depuis deux ans me permet de publier plus qu’à l’époque où j’écrivais à mi-temps. Cependant, il faut préciser que certains projets parus récemment étaient prêts depuis longtemps. Enfin, il faut peut-être ajouter que la plupart de mes textes (à l’exception des Voleurs de vent) ne sont pas très longs…
Vous pratiquez le genre de la nouvelle, souvent considéré comme mineur et boudé par les lecteurs. D’une manière générale vos textes sont relativement courts (même les romans) : pourquoi cette écriture resserrée ?
J’ai commencé par la nouvelle, comme beaucoup de monde. Et puis j’ai augmenté petit à petit la pagination pour écrire des récits, puis de petits romans. Un de mes rêves serait d’écrire une grande saga. Mais la longueur devra être justifiée. Délayer pour faire du volume n’a rien d’exaltant, ni pour l’auteur, ni pour le lecteur…
Comment en êtes-vous venu à écrire aussi pour la jeunesse ? Est-ce fondamentalement différent de l’écriture « pour adultes » ?
J’ai toujours voulu écrire pour la jeunesse, et je m’étonne de ne pas avoir commencé plus tôt ! Peut-être le fait d’avoir des enfants, et de leur raconter souvent des histoires m’a-t-il décidé à tenter l’aventure. La littérature jeunesse m’offre davantage de possibilités d’expression pour ce qui concerne, justement, l’imaginaire. Depuis le cocasse jusqu’au pur fantastique, en passant par le bizarre, l’incongru, l’onirique, le conte poétique… la palette offerte aux littératures de l’imaginaire aujourd’hui me semble plus large qu’en littérature adultes.
Plus jeune, vous avez voulu dessiner des BD ? Vous continuez à en faire ?
Je suis toujours un grand lecteur de BD, et j’aimerais écrire un jour des scenarios. Mais pour ce qui est du dessin, il faudrait que je progresse encore… Et surtout que je me trouve un style. Pour l’instant, ce que je fais ressemble à ce que d’autres ont déjà fait, et beaucoup mieux que moi…
Vous trouvez en plus le temps de vous consacrer à la revue Salmigondis, que vous avez créée. Pourquoi avoir voulu créer une revue littéraire ? Est-ce difficile de la faire vivre ?
Salmigondis est malheureusement « en sommeil » depuis trois ans. S’occuper d’une revue a été très formateur pour moi, et surtout un immense plaisir. Mais aujourd’hui, avec une famille de plus en plus nombreuse… et une activité d’écriture qui m’accapare à plein temps, je ne peux plus me permettre de m’y consacrer autant. J’aimerais que Salmigondis « se réveille » un jour, mais dans d’autres conditions, c’est à dire avec une véritable équipe autour de moi, et en déléguant la fabrication, la diffusion et la promotion à des professionnels afin de me consacrer uniquement au sommaire.
Vous continuez à enseigner l’allemand, parallèlement à votre travail d’écrivain : ce métier est important pour vous ? Vous pensez l’arrêter un jour pour vous consacrer uniquement à l’écriture ?
Depuis toujours je n’ai eu qu’un seul rêve : raconter des histoires. Si j’ai enseigné l’allemand à mi-temps pendant neuf ans, c’est parce que la plupart des écrivains sont obligés d’avoir un métier en parallèle à leur activité d’écriture, au moins au début. Depuis deux ans, je me consacre exclusivement à l’écriture et j’espère le faire toute ma vie. Non pour fuir l’enseignement, qui m’a fait vivre de très belles expériences et rencontrer des gamins attachants, mais tout simplement parce que même en écrivant à plein temps, je n’aurai jamais assez de toute une vie pour raconter toutes les histoires que je rêve de raconter…
Vivre à la campagne, c’est un choix de vie, j’imagine. Cela influence votre manière d’écrire ?
C’est un choix… oui et non. J’adore la nature, je me promène tous les jours dans le Revermont, entre deux séances d’écriture. Ceci dit, il y a certaines villes où j’aimerais vivre. Des villes du sud, comme Marseille ou Aix-en-Provence. Des endroits où la rue est un lieu de vie, pas simplement un lieu de passage. Mon enfance algérienne et ma jeunesse en Provence m’ont certainement conditionné comme ça.
Vous travaillez actuellement sur de nouveaux projets d’écriture ?
J’effectue les dernières retouches sur un petit roman pour les 6-8 ans intitulé L’arbre à chatouilles, qui paraîtra en septembre chez Rageot. Parallèlement, j’avance sur un texte étrange, qui pourrait être le premier tome d’une trilogie où le personnage principal, d’ailleurs, est une ville… Sinon, je lis beaucoup de livres historiques, romans et essais, sur le moyen-âge et le 18ème siècle, dans l’optique de projets plus ou moins lointains.
Blog de Roland Fuentès : http://rolandfuentes.hautetfort.com/
A noter: Roland Fuentès sera présent à la fête du livre jeunesse de Villeurbanne à la fin du mois d'avril.
Publications récentes (sélection):
L'échange, Syros tempo, 2007
Tonton zéro, mini Syros, 2008
Le mur et l'arpenteur, les 400 coups, 2008
Les voleurs de vent, Syros "les uns les autres", 2008
Tics olympiques, Syros tempo, 2009
Le fils du marin de Théodor Storm (traduit de l'allemand par Roland Fuentès), Syros "les uns les autres", 2007