Dans son acceptation courante, le manichéisme est défini ainsi : « Conception qui divise toute chose en deux parties, dont l'une est considérée toute entière avec faveur et l'autre rejetée sans nuance. » En résumé, la tendance d'un individu à trancher mécaniquement, de façon rigide, sans admettre de continuum, ni de voie médiane, entre Bien et Mal, entre blanc et noir, entre souffrance et plaisir, est qualifiée de manichéenne. Dans les dictionnaires, la définition est la suivante : « Religion de Mani, fondée sur un strict dualisme opposant les principes du bien et du mal. »
Par quelle étrange ruse de l'histoire le nom de Mani est-il devenu le symbole de la divagation intellectuelle et morale, cela reste un mystère !
Né à Ctésiphon (Mésopotamie) en l'an 216, peintre, médecin, philosophe oriental, Mani est à l'opposé des jugements tranchés et sans appel auxquels on l'associe. Sa vie, sa philosophie même, tolérante et humaniste, qui visait à réconcilier les religions de son temps, retracée par Amin Maalouf dans "Les jardins de lumière", lui valurent haine, persécutions et supplice. Ce Messager de Lumière que fut Mani, sept siècles après Bouddha, deux siècles après le Christ, quatre siècles avant Mahomet, incarnait le "réunificateur" de l'Orient et de l'Occident. Mani transmit une vision du monde et de la vie si puissante qu'elle se répandit, de manière totalement pacifique, de l'Afrique à la Chine, des Balkans à la péninsule arabique. Mani, homme simple, qui ne cache pas ses moments de doute, de découragement, et dont la force spirituelle ne dissimule pas les faiblesses inhérentes à sa nature humaine. Cette juste mesure du personnage, le talent de Maalouf à restituer l'atmosphère, les événements et les détails de la vie quotidienne de l'époque rendent le récit poignant à souhait.
Une telle clarté, une telle puissance suscitèrent évidemment l'adversité, la jalousie, la haine. Les religieux et les hommes de pouvoir, ne comprenant pas les paroles d'éveil de Mani, tentèrent de détruire sa pensée lumineuse. Une tradition arabe rapporte que lorsqu'on brûla les livres de Mani et de ses disciples, du feu jaillirent des pierres précieuses et s'écoula de l'or liquide.
Formulons l'espoir que l'évocation de l'enseignement, qui prit forme en l'œuvre de Mani le Vivant, tout au moins ce qu'on peut en deviner après tant de siècles d'oubli, ne soit plus jamais associée au mot "manichéisme". Que cette interprétation soit bannie de nos mémoires et de tous les livres qui la perpétuent.
Cela changera-t-il quelque chose aujourd'hui ? Sans soute pas. Mais dans quelques générations, le nom de Mani et son message auront peut-être suffisamment cheminé dans les esprits, pour que les peuples en viennent enfin à ce que leur religion ait pour nom : cohabitation !
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