Conférence XIII : le démontage de la pulsion, du 6 mai 1964
Aujourd’hui, nous allons aborder le concept de la pulsion à travers l’œuvre de Lacan et son Séminaire XI les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, qui est un séminaire décisif, et ce à plusieurs niveaux.
C’est en 1964 que Lacan vient d’être excommunié de la société française de psychanalyse et Lacan reprend cet événement personnel comme levier pour articuler ce qu’il en est de la position de sujet et du surgissement de l’objet dans toute structure sociale, soumis aux lois de l’échange.
Il va interroger les fondements de la psychanalyse et il va situer ses propres innovations en s’appuyant sur l’œuvre de Freud. Lacan va en dégager les quatre piliers du savoir analytique l’inconscient, la répétition, le transfert et la pulsion afin de « savoir ce que, de la psychanalyse, on peut, on doit, attendre et ce qui doit s’y entériner comme frein, voire comme échec »
Après avoir mis l’accent sur l’inconscient comme structure du langage et du signifiant, Lacan, à partir de là se tourne vers la pulsion, s’avance vers l’objet a, qui est le vrai objet de la pulsion. Il introduit la pulsion pour aborder la sexualité, après avoir dit dans ce même séminaire que la « réalité de l’inconscient est sexuelle. »
Dans la conférence XIII, le démontage de la pulsion, qui nous intéresse aujourd’hui, Lacan va « mettre en avant le quatrième concept, celui de la pulsion que Lacan cite comme « essentiel à l’expérience analytique »
Lacan élabore le concept de pulsion et lui donne sa place théorique parmi les quatres concepts.
Les leçons XIII à XV reprennent toute la théorie freudienne des pulsions, c’est-à-dire un résumé de cette mise au travail de cette année dans notre séminaire, et qui nous démontre que la pulsion est absolument inévitable pour considérer la sexualité.
Je vais donc reprendre cela aujourd’hui et laissé à Gery, son explication de la conférence XIV, où Lacan va redéfinir et compléter la pulsion avec l’objet a, objet cause du désir, et plus particulièrement de l’articulation que Lacan va faire avec la pulsion et le désir de l’analyste, dont il est question tout au long de ce séminaire.
Cette conférence est divisée en quatre sous chapitres, afin de comprendre le montage et le circuit de la pulsion : poussée (Drang) ; la satisfaction et son but, et sa source (Quelle).
La pulsion est un élément essentielle de la pratique analytique et, ce que peut saisir l’analyste de l’inconscient du patient vient se dévoiler au travers les pulsions, le pulsionnel, « qui a un caractère d’irrépressible, ….il y a quelque chose qui pousse ».
Il ajoute plus loin « Il semble donc avoir ici référence à une donnée dernière, à de l’archaïque, à du Primordial »
Lacan nous amène sur l’indépendance de la pulsion à l’égard de l’organique.
Lacan reprend à partir de « pulsion et destin des pulsions », qu’il traduit par les pulsions et les vicissitudes de la pulsion, ce concept fondamental qu’est la pulsion, mais en soulignant bien que la « pulsion ce n’est pas la poussée », et que ce montage de Freud : le Drang, la poussée, la Quelle, la source, l’Objekt, l’objet, le Ziel, le but, et bien ce montage n’est « pas si naturel que ça. »
Cela viendrait souligner la complexité de ce concept et sa difficulté à le saisir. Lacan va parler fiction, qui est un concept fondamental, terme qu’il lui préfère à celui de mythe. Lacan critique sévèrement le courant de la relation d’objet, où il serait question d’une fixation aux différents stades oraux, anal, génital, qui serait le stade final. Nous ne sommes pas là dans un développement chronologique ou diachronique, mais bien un développement qui privilégie la synchronie. Les pulsions sont toujours partielles, elles ne se transforment jamais en une unité qui serait l’amour génital, dont le but serait la reproduction.
2/ Puis Lacan, toujours en se réferant à l’article de Freud « pulsion et destin des pulsions » va reprendre alors ces quatre termes du montage de la pulsion de Freud, dont il dit qu’ « ils ne peuvent qu’apparaître disjoints. »
La poussée serait une excitation, mais une excitation interne, et non la pression d’un besoin organique, comme la faim, la soif.
Toujours en se réclamant du concept freudien de la pulsion, Lacan nous dit que celle-ci n’agit jamais comme une force d’impact, mais comme une force constante, telle que Freud l’a décrite dans « pulsions et destin des pulsions », pour la distinguer de l’excitation physique.
Ce qui vient là souligner de façon tout à fait définitive que la pulsion ne peut être assimilée à une fonction biologique, elle n’a pas de rythme journalier, ni saisonnier.
Freud, lui énonçait cela en lien avec le Real-Ich. Voilà encore un élément que Lacan introduit à la suite de Freud et qui comporte pour moi encore beaucoup de paradoxes et de confusions
Je vous dis ce que j’en ai compris.
Les pulsions apparaissent immédiatement au niveau du Real Ich « supporté par le système nerveux »,
c’est-à-dire comme étant un « système destinée à assurer une certaine homéostase des tensions internes. » Le Real Ich, le moi réel originel, serait en quelque sorte à mettre en lien avec
l’autoérotisme, non pas comme le signe de l’inexistence des objets mais comme le fonctionnement
des objets uniquement en rapport avec le principe de plaisir.
De ce fait, la sexualité entre en jeu comme pulsions partielles
3/Lacan aborde ensuite la pulsion par le biais de la satisfaction, Befriedigung, en référence à l’article « pulsion et destins des pulsions ». C’est ici du sort des pulsions dont il est question, qui sont soit refoulées, sublimées, renversées en son contraire, ou retournées sur la personne propre.
Donc, la sublimation est aussi une satisfaction de la pulsion, bien qu’elle n’atteigne pas son but.
C’est une satisfaction mais sans refoulement.
La sublimation est le processus par lequel on change la satisfaction sexuelle de la pulsion par une satisfaction au but désexualisé. Pour reprendre sur ma tentative d’explication de tout à l’heure c’est une substitution du Lust Ich, pour constituer le real ich.
Il met en avant la variabilité de la pulsion et de son indépendance à l’égard des besoins. Aucun objet spécifique ne satisfera jamais une pulsion.
Alors qu’elle est-elle cette satisfaction de la pulsion ? La pulsion permet aux analystes, de se mettre au travail quant au concept de la satisfaction.
Lacan va plus loin ici en nous disant que la pulsion trouve à se satisfaire de symptômes pénibles, quand bien même le sujet ne s’en satisfait pas.
La pulsion se satisfait, mais le sujet non.
Les patients viennent voir les analystes parce qu’ils ne se satisfont pas de ce qu’ils sont.
Ils se contentent.
Toute la dialectisation de la pulsion est ici articulée, dans cette antinomie comme dit Lacan, dans ce paradoxe. Cette « sorte de satisfaction », comme le précise Lacan, est rendue moins énigmatique par
l’introduction du principe de plaisir.
Le principe de plaisir c’est le principe de constance. L’on sait que le remplacement du principe de
plaisir par le principe de réalité ne signifie pas la disparition du principe de plaisir, mais seulement son assurance.
Les deux principes recherchent la même chose, à savoir le plaisir.
Lacan nous dit « que ce à quoi ils satisfont par les voies du déplaisir, c’est quand même la loi du plaisir. » Les voies du déplaisir ne sont pas exclues dans la recherche du plaisir. Mais cela leur coûte cependant beaucoup psychiquement, ce qui légitime l’intervention du psychanalyste, qui peut permettre au patient de raccourcir le but de la satisfaction De cette position d’analyste, nous savons que le but de la satisfaction est atteint à travers toutes une séries d’arrangements psychiques singuliers.
Cela me fait penser à ce que vous aviez dit lors la toute première leçon : « rien ne se perd, tout se transforme. »
C’est ici que la référence à la pulsion prend son sens, à savoir que c’est « au niveau de la pulsion que
l’état de satisfaction est à rectifier », et non au niveau du but de la satisfaction
Ce paradoxe, Lacan va l’articuler avec un élément capital et décisif, « la catégorie de l’impossible »,
qu’il définit non pas dans sa négation par rapport au possible, mais comme étant le réel, c’est-à-dire l’obstacle au principe de plaisir. (Pour Freud Le réel est pour le sujet le champ de l’impossible qui concerne l’atteinte de l’objet pulsionnel lui-même. Cet impossible concerne la jouissance, le sexe et la mort.
La pulsion naît du désir et elle le déplace. La pulsion est la source d’un désir qui n’est jamais satisfait et la pulsion renaît sans cesse, identique à elle-même, constante. « Aucun objet ne peut satisfaire la pulsion. » Comme je l’ai dit à l’instant, puisque le principe de plaisir c’est le principe de constance, et comme nous le savons, le but de toute pulsions est de se satisfaire en bouclant son circuit d’aller retour, cela nous amène à dire que la satisfaction de la pulsion ne passe pas par l’atteinte de l’objet. Peut-on dire que la pulsion n’est jamais satisfaite parce que le principe de plaisir existe ? Lacan lui nous montre que la satisfaction de la pulsion met donc en jeu l’impossible, qui est cet impossible de sa coexistence avec une quelconque saisie de l’objet. Cet impossible qui est ce réel.
Ce réel qui est désexualisé, qui est séparé du champ du principe de plaisir.Cependant, il dit ensuite que l’impossible « y est si présent, qu’il n’y est jamais reconnu comme tel. »
Puisque l’objet de la pulsion n’est pas prédéterminé, l’objet qui procurerait la satisfaction n’est pas identifiable. Mais quel est donc cet objet de la pulsion, cet objet indifférencié ?
Lacan prend l’exemple de la pulsion orale. Dans la pulsion orale, c’est le sein qui à cette fonction d’objet, que Lacan va dialectiser comme objet a, objet cause du désir.
Cet objet a, qui est la présence d’un creux, d’un vide occupable par n’importe quel objet, Or, comment cet objet satisfait la pulsion ? Lacan introduit ici un élément essentiel, à savoir que la pulsion se satisfait en tant qu’elle en fait le tour, le turn et le trick. C’est-à-dire au sens où elle tourne autour, mais où aussi elle l’escamote, elle fait un tour de prestidigitation.
La pulsion serait donc ce point du réel où se saisit la spécificité du désir du sujet. Lacan souligne une structure en boucle et dressera une topologie des bords qui constitue le principal mode d’accès théorique au champ de réel.
4/ Il va reprendre la pulsion orale pour nous permettre de comprendre la source de la pulsion, que l’on pourrait de façon non conventionnelle, définir comme étant la régulation vitale.
Cela signifie que les zones érogènes sont la source de la pulsion, et que celles-ci sont ont toutes une structure de bord. Cette notion est pour moi compliquée à définir, mais je peux comprendre que cela voudrait dire que le corps « prête » ses orifices à la pulsion en tant que leur structure de bord présente une certaine analogie de forme à la béance de l’Autre. En l’absence d’un désir, d’un bord chez l’Autre, les orifices du corps perdent leur fonction érogène. La pulsion ressemble à un montage, mais pas un montage en référence à une certaine finalité, en lien à la théorie de l’instinct.
Ce montage dont nous parle Lacan est un véritable casse-tête, « n’ayant ni queue ni tête. », entre les paradoxes que nous venons de décrire de la poussée, de l’objet et du but de la pulsion.
Ce que j’en comprends c’est que la pulsion peut se désarticuler, s’inverser… mais que le « sens » de la pulsion n’apparaît qu’aux travers des « références grammaticales «, les signifiants.
Le montage de la pulsion se présente donc comme un casse tête, mais son démontage permet de définir le tracé de l’acte, ce tracé de l’acte qu’il articulera avec l’acte d’amour, le narcissisme et l’autre que l’amour implique.
Le point topologique où quelque chose se réalise, se satisfait.
Christine Jasaitis (16/03/09)