Magazine Culture
Cf : "Le joueur d'échec" de Stefan Zweig (1)
Stefan Zweig effectue en Août 1941 un voyage de New-York à Rio à bord du Paquebot L'Uruguay. Obligé de quitter l'Allemagne, il a du abandonner son monde, son pays. Ce sera son dernier voyage. Cruellement poursuivi par son obsession de la guerre et afin de pallier à une certaine solitude qui lui est insupportable, Zweig s'initie au jeu d'échecs au cours de ce voyage en y initiant Lotte, sa femme. A Pétropolis au Brésil où il pose ses valises, il va disputer avec son ami Ferder, exilé comme lui, des parties quotidiennes. En octobre 1941, tout en rédigeant ses mémoires, il commence l'écriture de Schachnovelle (une nouvelle d'échecs). Il en termine la rédaction fin octobre 1941 et signalera dans une lettre d'adieu le manuscrit. La veille de sa mort, il en enverra un exemplaire à son éditeur, Bernard Fisher, réfugié en Suède et la première édition paraîtra en 1941 à titre posthume. Le joueur d'échecs sera publié en France en 1943.
J'ai retrouve la même structure que dans "Vingt-quatre de la vie d'une femme" où nous pouvons entre autre, retrouver un portrait de joueur (roulette). Nouvelle atypique sans aucune doute mais qui s'inscrit dans une histoire contemporaine, une histoire sociologique actuelle. En 1941, la guerre contrôle la moindre parole, le moindre acte et les moindres pensées de chacun. On ne parle d'amour dans Le Joueur d'Echecs, on parle de stratégie, de guerre.
Inconsciemment haineux (haine forte et impuissante) lors de la rédaction de ce chef d'oeuvre, Zweig trouve son autre, celui qu'il n'aime pas être, celui qu'il condamme et dont il condamme tout. Le personnage de Czentovic représente cette haine et la plume de Zweig ne l'épargne pas. Pour lui, il représente la négation au sens propre.
On pourrait croire et c'est certainement vrai que le récit du Docteur B est disproportionné par rapport au reste du texte, il n'efface pas cependant l'action principale.
"La nouvelle est un malheureux format que j'affectionne, trop longue pour un journal ou pour un magazine, trop courte pour un libre, trop abstraite pour le grand public, trop particulière par son sujet". Stefan Zweig.
Le récit est bref et le thème du jeu d'échecs domine la nouvelle. Pour les novices comme moi comme pour les "maîtres", on ne peut que s'interroger sur le danger de ce jeu qui peut amener à la folie, mais également et tristement sur le tyrannie exercée alors par la Gestapo.
Très vite, est introduit le personnage de Czentovic, champion mondial, que le narrateur prend en charge et l'on pense dans toute la première partie qu'il est le personnage principal du roman. Mais dès la page 44, apparaît le Docteur B. qui se dévoile en confiant au narrateur les raisons de son voyage et les dernières années vécues en Allemagne.
On peut distinguer trois parties : le récit du narrateur, l'histoire de Czentovic et enfin la bouleversante histoire du Docteur B. C'est le jeu d'échec qui fait l'unité de ce roman.. Mais la primauté est consacré au Docteur : 9 pages consacrées à Czentovic et 37 au vécu du Docteur. Personnages complètement opposés, le champion est inculte, a connu une ascension rapide, il est peu sympathique tandis que le Docteur B. confie avec minutie ce que le jeu d'échec lui a apporté moralement et intellectuellement et les conséquences néfastes de ce jeu quand il devient passion envahissante et dégradante. L'un joue pour l'argent, l'autre pour survivre... et cela l'a amené à la folie, qu'il retrouve d'ailleurs lors de sa rencontre avec Czentovic.
Nous ne connaissons,en parcourant le roman, absolument rien de la vie à bord, ni du déroulement de la croisière, aucun description des paysages traversés et nous avons peu de repères temporels, si ce n'est les différentes parties d'échecs.
Arrêté la veille de l'arrivée d'Hitler à Vienne en 1938, B. est resté en isolement pendant une longue et terrible année. Nous sommes au coeur de la montée du nazisme en Europe. Nous identifions le contexte historique uniquement par le récit du Docteur B. confié au narrateur. Contraint à l'exil 15 jours après sa libération, le Brésil est sa destination finale.
Le narrateur est identifiable par un simple pronom : Je. On sait qu'il joue aux échecs pour le plaisir et c'est un moyen, au hasard de ce voyage, de rencontrer le grand Czentovic, envers qui une fois la rencontre faite, il voue un dédain certain. Il jouera le rôle du confident pour le Docteur B. pendant de longues heures sans interrompre la confession libératrice. Tantôt acteur, tantôt spectateur attentif, on considère, via son attitude, que le jeu d'échecs est pour lui un révélateur de la psychologie des personnages.
Czentovic : à part le fait de savoir qu'il a les cheveux blonds, qu'il a été recueilli par le curé du village à l'âge de 12 ans suite à la mort de son père, nous ne connaissons que ses manières peu raffinées. Son portrait intellectuel est mis à mal par Zweig : Inculte, quasi illettré et indifférent par tout ce qui l'entoure. Sa carrière fulgurante en a fait à 20 ans un champion du monde. Ce personnage concentre en lui tous les défauts.
Le Docteur B. n'est jamais nommé, on ne connaîtra de son nom que son initiale. Présenté par le narrateur comme un homme vieilli prématurément, prudent mais vulnérable et faible. Arrêté et isolé suite à la dénonciation suite à la dénonciation de l'un de ses employés, il ne subit aucune violence physique mais le vide, rien que le vide. Enfermé entre quatre murs, seul dans un décor austère, il n'a ni livres, ni papier, ni crayon. L'isolement, l'enfer du silence, le manque de repère temporel, le manque de contact avec l'extérieur était une méthode mise en place par les SS pour obtenir des renseignements. Insupportable supplice au point que le Docteur avoue qu'il aurait préféré être en camp de concentration.
Torture indicible, son esprit s'érode lentement. Le vol d'un livre sur une méthode d'échecs va rendre plus supportable son isolement mais cela n'empêche la folie de l'envahir peu à peu. Passées les premières étapes de l'apprentissage grâce au manuel et d'un jeu fabriqué avec les moyens du bord, il acquiert rapidement une maîtrise parfaite du jeu et cela devient un véritable enrichissement : il se sent plus serein, plus sûr de lui.
Peu à peu, la répétitivité des parties devenues machinales annonce alors la perte de la maîtrise, la conscience de soi : c'est la descente aux enfers dans la passion du jeu. La monomanie l'envahit irrésistiblement.
Zweig porte sur les déchirements que traverse l'Europe dominée par le national-socialisme un regard attentif. Je pense que le jeu d'échecs représente une forme de lutte entre le pouvoir et l'esprit, l'humain et l'inhumain, l'incertain et le calculé. Et la partie que le Docteur B. accepte de disputer avec Czentovic est tel le combat qu'il mène contre les nazis...
Analyse très succinte, il s'agit seulement de mon avis de simple lectrice.
Pour en savoir plus :
http://www.alalettre.com/zweig-bio.php
http://www.karimbitar.org/stefanzweig
http://fr.wikipedia.org/wiki/Stefan_Zweig
Quelques avis : Majanissa, de Anne, de Keisha...