Ils étaient pourtant nombreux à y croire, un nouveau monde, bâtit sur les braises encore chaudes du capitalisme. Répartition des salaires, limitation des abus, réglementation et encadrement des marchés. Doux rêves. Les cyniques (ou les « TINA » pour certains), dont j'étais, qui ne voyait rien d'autre dans cette crise qu'une phase "basse" du fonctionnement cyclique de nos systèmes économiques étaient taxés de réac' ou de conservateurs. Chut, il ne fallait surtout pas briser le rêve.
Le G20 de ce jour siffle pourtant la fin de la récréation. Dans les textes et dans les faits, rien ne changera. Le Monde se dotera tout au plus d'institutions plus fortes et de plans de relance de plusieurs milliers de milliards de dollars. La Chine aura gagné sur le dossier des paradis fiscaux, la France aura gagné à "imposer le débat de la régulation financière", les Etats Unis n'auront rien perdus (Bretton Woods, niveau du dollar). Etonnement, tout le monde aura réussi sa mission.
Demain donc, le soleil se lèvera sur un Monde inchangé où l'avidité des hommes n'aura pas été écartée d'un claquement de doigt et où le capitalisme demeurera l'unique système connu pour enrichir nos sociétés et les populations de cette planète.
Sur le fond des choses, j'ai l'amère impression qu'il ne pouvait en être autrement. Les membres du G20 trompent chaque citoyen de cette planète en agitant divers problèmes tout évitant, avec un soin immense, de traiter le seul vrai mal de cette crise. Soyons sérieux, il ne s'agissait pas là de moraliser un système ou de changer la nature humaine. Il ne s'agissait pas moins de restreindre l'avidité des banquiers et des financiers de ce monde. Tout cela c'est du vent.
Cette crise n'est pas une crise immobilière, elle n'est pas non plus une crise de la dette, de la finance ou de la morale. Et si cette crise était avant tout une crise du risque ?
Affirmation farfelue ou tout bonnement stupide. Laissez moi au moins m'en expliquer ...
Revenons aux définitions. Le capitalisme, selon Wikipedia, est "un système économique et social" basé sur plusieurs caractéristiques telles que la propriété privée des moyens de production, la liberté des échanges économiques et la recherche du profit (liste non exhaustive). Sur chaque dossier « chaud », c’est ce dernier point qui est fustigé. La recherche permanente du profit, toujours plus grand, toujours plus rapide. Qu’il s’agisse des banques, des personnes ou des sociétés humaines, elles n’affichent toutes qu’un but, l’enrichissement. Théoriquement l’enrichissement ne devrait être qu’un moyen, une marche incontournable pour assurer l’avenir des entreprises, des business ou des niveaux de développement des sociétés humaines. Sauf que ce moyen, si important, s’est peu à peu transformé en fin.
Dans le système capitaliste, il se trouve que l’enrichissement est contre balancé par la notion de risque. Prépondérante. L’actionnaire justifie sa rente par sa prise de risque au moment de l’investissement, la banque justifie son profit par la prise de risque sur les marchés financiers. C’est le Yin et le Yang du système, il n’y a pas d’enrichissement sans risques, il n’y a pas de prises de risque sans enrichissement potentiel. En tant que citoyen proche des idées libérales, je suis attaché à ce principe. Or chemin faisant, nous avons (les libéraux surtout) oublié l’importance de cette stabilité entre les notions de risques et de profits, acceptant trop volontiers les dérives financières, l’enrichissement du gros plutôt que de l’aventurier, le profit rapide déconnecté de toute notion de risque.
La voici, la dérive majeure du système, que le G20 fait fi d’ignorer. Les subprimes, ce sont des prêts accordés sans prises en compte du risque du retournement du marché immobilier. La propagation de la crise ? C’est la découpe et la revente du risque entre plusieurs acteurs financiers mondiaux. Le soulèvement social contre les golden parachutes n’est pas, non plus, totalement étranger à cette décomposition du lien profit-risque. Comment diable accepter qu’un échec soit si bien rémunéré ?
La verrue financière s’est donc peu à peu déconnectée du reste de la société. Les plus grosses entreprises de ce monde, devenues expertes sur toutes ces questions, avaient trouvé le moyen de déconnecter le profit du risque. Pas le reste de la société. Tout le monde paye aujourd’hui la facture du retour sur terre.
Le G20 pourra donc bien tenter de moraliser les acteurs, de gronder les patrons, de bloquer les rémunérations pour calmer la fureur grandissante des peuples, le faille demeurera. Nous ne ferons pas l’économie d’une refonte en profondeur de la manière avec laquelle les acteurs financiers se jouent du risque pour ne récolter que les fruits sucrés. Le maintient de cette relation entre risque et enrichissement devrait être centrale, au lieu de cela, elle demeure gentiment ignorée, pire même, le déséquilibre est grandissant.
Revenons un instant sur le traitement en urgence de cette crise. AIG, Fannie Mae & Freddie Mac, les constructeurs automobiles US, les diverses banques mondiales, toutes furent sauvées par les Etats à coups de milliards. Toutes sont pourtant d’une manière ou d’une autre fautives. Fautives dans le ressenti des évolutions des marchés (constructeurs autos) ou dans leurs activités courantes de par la recherche du profit sans risque (ou plutôt « la recherche du profit et du partage du risque dans d’autres mains »).
Toutes sauvées donc, parce que trop grosses. Laisser chuter de tels mastodontes c’est prendre le risque (réel pour le coup) d’enrayer la machine pour très longtemps ou de contribuer à aggraver les conséquences sociales de cette crise (imaginons les faillites des banques de dépôts ?). Dans cette crise pourtant, de nombreuses entreprises fermeront, faute de financement pour les investissements ou simplement de trésorerie. Ces boîtes là, personne ne viendra les sauver, peu importe l’avenir auquel elles étaient promis, elles ne sont pas assez grosses.
Terminé donc le capitalisme dans lequel le fautif est susceptible de payer lourd ses erreurs, bienvenue dans le capitalisme à deux vitesses, celui des grands et des puissants, trop lourds pour être abandonnés malgré leurs erreurs…. Et les autres. Si cela ce n’est pas une dérive…
Au G20 pourtant, personne pour s’émouvoir de cette sévère mutation de notre système économique.
Dans une heure, les flashs vont crépiter pour accueillir la déclaration de principe de ce nouveau monde pondu par le G20. Il y aura peut être de nouvelles restrictions sur les salaires des grands patrons de ce monde, les goldens parachutes et tout le reste...
Puisqu’on vous dit que cette crise est avant tout une question de morale.