Depuis 20 ans, le capitalisme tournait à plein, mais pas rond. Les actionnaires demandaient des rendements d’autant plus exorbitants qu’ils avaient accordé aux dirigeants de leur société des rémunérations déconnectées de toute logique de productivité. A croire que le rapport hiérarchique s’était inversé, le management s’était émancipé de la propriété jusqu’à la dominer au point de lui faire accepter de céder bien plus que le pouvoir, une fraction de capital. Les Etats-Unis, comme souvent, avaient montré le chemin. Et, en 10 ans, la rémunération moyenne des 150 dirigeants les mieux payés des 50 plus grandes entreprises américaines était passée de 187 fois le salaire moyen à 367 fois au début des années 2000. Et la part prise par les stocks-options dans ces revenus atteignait près de 50%.
La France, loin de se tenir éloignée de ce mouvement anglo-saxon, l’a chevauché allègrement. Les gains annuels des patrons du CAC 40 s’élèvent désormais à 4,7 millions d’euros, soit 308 années de SMIC, avec une part sans cesse plus élevée constituée par les stocks-options: près de 60% au début des années 2000. Ce mode de rémunération n’a pas été qu’un simple intéressement aux bénéfices des entreprises dont ces dirigeants avaient la charge, une sorte de récompense exceptionnelle pour cadres supérieurs talentueux, il a changé profondément les critères de management des sociétés cotées.
Dès lors que la fortune des décideurs dépendait, pour l’essentiel, du cours de la Bourse à venir, ils n’étaient plus en charge de l’équilibre entre capital et travail, entre court terme et long terme, entre spéculation et gestion, le sens même de leur décision se tournait entièrement vers l’objectif d’enrichissement personnel supposé confondu avec la valeur de l’entreprise. Et dès lors que les modes de rémunérations des managers et des gestionnaires des fonds d’investissements étaient conçus sur les mêmes règles, à savoir la plus value sur les actions, ils ont pris les uns et les autres, les uns avec les autres, les mêmes risques, les mêmes libertés et ont participé ensemble à une fuite en avant sur le dos des salariés et des épargnants. D’où la montée considérable des inégalités qui est allée de paire avec celle de l’endettement.
La «folie des rémunérations» n’est donc pas l’une des manifestations les plus scandaleuses de la crise, mais l’une de ses causes les plus directes.
Aussi, maîtriser ce processus, l’encadrer et l’assainir relèvent autant de la raison que de la morale. Il ne s’agit pas de stigmatiser -sur le mode outragé- ou de punir -sur le mode inquisitorial- mais de remettre l’échelle des revenus sur des bases saines économiquement, justifiées socialement et acceptables politiquement.
Il est vain d’attendre une auto régulation de la part structures patronales qui sont dans un lien de consanguinité et de complicité pour perpétuer le système de cooptation et de captation. Ce sont en effet des comités de rémunération où siègent les principaux dirigeants de manière interchangeable qui octroient montages, bonus et stocks-options. Chacun se tient, se surveille, s’arrange. Certes, la lucidité peut gagner les esprits les plus chavirés par l’argent, mais le sens de la mesure a été perdu depuis belle lurette et les abus ont été tels que la norme est devenue l’exception et que la décence n’a plus de prix !
Aussi, dans ces moments de confusion, c’est à la loi de rappeler l’intérêt général et d’indiquer les références et les différences qu’une démocratie peut admettre.
Trois voies sont possibles :
- L’interdiction des stocks-options -sauf dans les entreprises naissantes. La spéculation individuelle ne peut avoir sa place dans la gestion d’un groupe.
- La taxation des hauts revenus à travers l’abrogation du bouclier fiscal. Comment comprendre que la seule catégorie sociale qui se voit reconnaître une protection législative contre toute contribution supplémentaire soit précisément celle qui a le plus bénéficié de la folie du système : les 0,01 % des salariés les mieux payés ont vu leurs revenus croître de près de 70% entre 1998 et 2006 contre à peine 1% pour 90% des salariés. Et ce sont ceux-là qui appellent à l’effort collectif grâce aux privilèges qui leur ont été conférés.
- Le plafonnement des hautes rémunérations. La mesure peut paraître administrative, arbitraire, coercitive. A l’évidence, fixer un chiffre est un exercice délicat voire pernicieux. Trop haut, il choque. Trop bas, il démotive.
Barack Obama aux Etats-Unis, Angela Merkel en Allemagne ont introduit, notamment pour les entreprises aidées par l’Etat, des plafonnements en définitive d’un niveau assez proche de l’ordre de 500 000 euros par an. Mais, il serait judicieux, à terme, de procéder autrement, en déterminant dans chaque entreprise un écart maximum de l’ordre de 1 à 30 entre la part des salariés le mieux payés et ceux qui sont au plus bas de l’échelle. On est encore loin de l’égalitarisme qui fait si peur à Nicolas Sarkozy. On revient aux normes des années 1980 et bien au-delà de celles des années 1960. Un mouvement comparable de resserrement de l’éventail des rémunérations s’était produit après la crise de 1929.
Dans toute société, la hiérarchie des revenus est le meilleur indicateur de sa cohésion. Quand l’ascenseur social est en panne depuis trop longtemps, rien de plus nécessaire, impérieux même, que de remettre des barreaux sur l’échelle. Pour faire descendre ceux qui se sont juchés trop haut et pour faire remonter ceux qui ont glissé.
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 28 avril à 11:44
Et le gros Hollande(pas le fromage rond et rouge...quoique) il gagne combien de fois le SMIC ...Certes il a raison mais si il pouvait en faire autant !!! Je crois qu'il serait moins critique.