J’aime Gus Van Sant. Il m’a d’abord agacée (sa façon de jouer avec les stéréotypes adolescents dans Elephant) ; mais Paranoïd Park et Last Days m’ont complètement subjuguée.
Harvey Milk étant le récit des huit dernières années de vie, d’amour et de lutte d’un activiste de la cause gay dans l’Amérique puritaine des années 70, le cinéaste y est plus bavard et joue cette fois avec les scènes obligées de ce genre cinématographique : naissance de la vocation, popularité croissante, malheurs domestiques contre succès politique, meetings, récit rétrospectif et testamentaire d’un héros qui se devine condamné…
Le récit prend de l’ampleur à mesure qu’Harvey Milk, qui lutte d’abord pour la visibilité des gays, s’impose sur la scène politique de San Francisco ; il est élu alors que le sinistre Briggs entend faire voter la proposition 6 : il s’agit d’obtenir le renvoi des enseignants gays et de tous ceux qui les soutiendraient. C’est l’occasion de reconstituer un hallucinant débat où ledit Briggs confond allègrement homosexualité et pédophilie, et, s’avouant impuissant à lutter contre la pédophilie hétérosexuelle, affirme satisfaisant d’exclure le « danger » homosexuel (ce sera toujours ça de fait…).
Mais cela n’empêche pas le cinéaste d’imposer l’atmosphère douce et cotonneuse de ses autres films, créée par la séduction du personnage principal (Sean Penn est parfait, on comprend que le jeune Scott abordé dans le métro le suive jusqu’à San Francisco), l’inaltérable douceur de la relation qu’ils entretiennent, la tendresse aussi qu’il manifeste à son dernier compagnon, un jeune homme fragile et jaloux.
A cette douceur s’allie la grande énergie de l’équipe de Milk, souvent délicieusement drôle. Sur le plan formel, le montage très rythmé participe à cet élan des personnages vers plus de liberté. D’ailleurs, Harvey Milk m’a replongée dans la passion contestataire qui animait le New York de Maya Angelou (Tant que je serai noire).
Et puis il y a l’assassinat de l’icône… Je dois reconnaître (mais je suis bonne spectatrice) que je n’avais pas vu venir l’assassin, et j’ai frémi à la lettre de menaces, persuadée que le moment était venu. Mais non. J’ai même suspecté des innocents. Et puis j’ai vu l’homme rêveur en slip devant sa fenêtre. Je l’ai vu déambuler, désormais incongru et déplacé, dans les escaliers de la mairie de San Francisco, dans laquelle arrivait Milk. C’était lui, le tueur d’Elephant, le skater de Paranoid Park, le suicidé de Last Days : le tueur des films de Gus Van Sant, cet homme des couloirs vides, mutique, impassible. Un enfant trahi.