Par Alain Sueur
Le 29 septembre dernier, je vous annonçais le krach d’octobre – il a eu lieu dix jours plus tard.
Le 10 février, je vous annonçais un rebond probable de mars à juillet – nous y sommes, mais il a fallu attendre fin mars.
Aujourd’hui, le rebond a été un peu trop vif pour qu’il dure au même rythme d’ici l’été. D’autant que nous n’en avons pas fini avec la baisse : le marché est très réactif à la moindre mauvaise nouvelle, il est beaucoup plus lent lorsque de bonnes nouvelles arrivent. Mais la tendance, si elle reste à la volatilité d’ici fin juillet, devrait demeurer positive – en attendant les grandes réflexions sur 2010, les résultats des entreprises au 30 juin et la déprime saisonnière de l’automne.
Si l’on examine les tendances économiques, elles restent baissières mais plus par développement des conséquences de la crise financière passée qu’en attente d’événements imprévus. Une économie, c’est comme un navire pétrolier, les virages s’effectuent lentement et sur plusieurs kilomètres.
La crise proprement financière paraît terminée. La séquence en a été la suivante : découverte des crédits toxiques, prise de conscience de l’ampleur de leur diffusion, perte de confiance entre banques pour les prêts, interrogations sur le traitement des produits sans valeur. Aujourd’hui, le marché sait qu’aucune banque de taille ne sera poussée à la faillite, que les États soutiennent leurs établissements sous diverses formes, que des mesures réglementaires vont être prises pour évaluer les produits toxiques et les cantonner dans les bilans, que la liquidité du crédit est assurée par les mesures « quantitatives » prises par les Banques centrales.
La crise économique doit encore se déployer. La chute de la demande aux États-Unis et en Europe a affecté en premier les pays exportateurs (Allemagne, Japon, pays d’Asie du sud-est et Chine). Le gel des investissements et le chômage ont très fortement crû dans les pays développés et dans les pays émergents exportateurs. Les déficits publics se sont envolés dans les pays développés tandis que se pose la question de l’impôt : impossible de prélever plus en période de crise, le débat porte sur comment le répartir plus largement et éradiquer les niches de dégrèvement comme les paradis fiscaux. La spirale de déflation s’est enclenchée depuis quelques mois : chute de la demande, envol du chômage, frilosité de l’investissement, limites du Budget public – donc chute de la demande, chômage accru, etc. Avec la tentation des jacqueries sociales, du protectionnisme économique, du nationalisme et de la xénophobie dans les pays fragiles.
Les pouvoirs publics ont fait ce qu’il faut, dans le désordre et de façon brouillonne, mais en gros ce qu’il faut. Ce n’est jamais assez pour les démagogues, mais cela a le mérite d’exister, un équilibre précaire entre court terme (où il faut massivement contrer la Dépression qui vient) et long terme (ou il faudra payer par plus d’impôts, plus d’inflation et de moindres prestations de retraite et de santé…). Il n’est pas faux de dire aux Américains qu’une relance par la consommation en France irait surtout à l’épargne (sauf par incitations fiscales – ce qui fut fait avec la prime auto et la défiscalisation des travaux d’économie d’énergie dans les bâtiments). Il n’est pas faux de dire aussi aux Américains qu’une réglementation internationale concernant les zones grises est importante, surtout pour surveiller le développement des hedge funds (je préfère ‘zones grises’ au trop vague ‘paradis fiscal’ : les zones franches des banlieues françaises, avec leurs exonérations, ne sont-elles pas aussi des ‘paradis fiscaux’ ? tout comme l’état du Delaware aux USA ? ou les non-résidents de la City ?). Le G20 décidera, ce sera vague et peu contraignant car, à 20 pays très divers, on ne peut que signer des compromis, mais le G20 sera un succès. L’indice ? La déclaration du Président Sarkozy : pour qu’il menace de faire un coup d’éclat, c’est qu’il est quasiment assuré de ne pas le faire –cela s’appelle un « coup médiatique ».
Comment les marchés voient-ils l’avenir au moment où s’ouvre le G20 ? Depuis le 1er janvier :
- L’or stagne +0.9%, signe que la crise systémique ne s’aggrave pas ;
- Les matières premières stagnent, CRB à 0%, signe que le déstockage ne se poursuit pas ;
- Le pétrole est stabilisé lui aussi, Brent à -2.3%, signe que l’économie est en veilleuse mais sans chute ;
- Le fret par bateau augmente (Baltic Dry index), signe que les échanges reprennent un petit peu.
Parmi les grands marchés, l’Asie remonte, les États-Unis et l’Europe forment une zone liée toujours négative mais en petit rebond boursier :
- Dow Jones américain +13%, EuroStoxx50 -16% (plombé par le Dax allemand -16% plus que par le Cac40 français -13%), Nikkei japonais -6%, Suisse -11%.
- Mais le Shanghai index bondit de +42%, Taiwan +16%, la Russie +9%, la Corée sud +5%, l’Inde +2%, seul Hongkong, plus tourné vers l’exportation est à -6% . L’indice américain Nasdaq des valeurs technologiques ne baisse lui aussi que de 3%, signe de confiance envers le nouveau cycle.
Les secteurs de l’indice français CAC40 montrent une défiance envers les cycliques et un maintien acheteur des industries non-cycliques :
- Services collectifs -28%, financières -16%, télécom -14%, bien de consommation et industries de base -13%.
- En revanche, pétrolières -4%, santé -7%, matériaux de base -8% et technologiques -9%.
La reprise des économies semble retardée d’au moins 6 mois par rapport aux prévisions antérieures. Faute d’avoir réagi vite à fin 2008 (fin de règne de George W. Bush oblige), les errements du début se paient par une confiance plus durablement atteinte et un choc économique plus fort. FMI, BCE comme OCDE révisent à la baisse leurs prévisions de croissance pour 2009 et 2010. La reprise économique est vue plutôt pour fin 2009 en Asie, mi-2010 aux États-Unis et pour 2011 en Europe. Les marchés anticiperont d’environ 6 mois – mais avec la volatilité due à la confiance ébranlée.
Dans ce contexte, nous devrions avoir un petit rebond jusqu’à l’été, suivi d’un creux à l’automne, avant une « vraie » mais lente reprise boursière des actions menées par les indices américains en début d’année 2010. La reprise économique sera plus lente en Europe continentale en raison de la viscosité des relations sociales et de travail : on licencie moins vite mais on embauche plus frileusement ; on ferme des usines mais on hésite à en ouvrir de nouvelles ; une fois la production délocalisée, il est rare qu’elle revienne car les marchés porteurs sont ailleurs que dans les vieux pays. Cet aspect sociologique se double, cette fois-ci, d’un aspect structurel : on change de capitalisme et de mode de consommation. Le tout-finance est honnis (capitalisme anglo-saxon), mais la préférence pour la belle technique (capitalisme rhénan) est trop chère, mal vendue et trop consommatrice d’énergie et de matières. Place au durable ! C’est donc la demande qui va commander pour une génération au moins : le client et son service, particularité du capitalisme asiatique.
- En termes d’actifs, les actions auront un rendement supérieur à celui des obligations, inflation potentielle oblige.
- Les styles de gestion s’orienteront avec raison sur les valeurs d’actifs (value) plutôt que de croissance (growth). Les analystes rechercheront le faible levier d’endettement, une trésorerie solide et des risques de production limités.
- Les banques reviendront à leurs métiers fondamentaux, elles seront universelles, multilocales et professionnelles, proposant des produits simples à risque bien cantonné pour fidéliser leurs clients. Leur rentabilité en souffrira, plus proche des 7-10% par an que des 15-25% de ces dernières années.
- Le consommateur sera plus conservateur (et plus vieux), plus durable (faute de moyens), socialement responsable (par souci de la planète), enfin moins dépensier (faute d’emploi, de bonne retraite et de santé à guichet ouvert, faute de crédit facile aussi).
C’est un peu tout cela que nous disent les marchés au moment du G20…
Un intéressant papier de Michael Dooley et Peter M. Garber - Ne pas se tromper de causes : la crise n’a été causée ni par les déséquilibres de comptes courants entre marchés émergents et États-Unis, ni par une politique monétaire américaine laxiste, ni même par l’innovation financière !
Alain Sueur est consultant, formateur et auteur des “Outils de la stratégie boursière“. Rédac chef du Blog Boursier il écrit régulièrement sur Fugues.