Éphéméride culturelle à rebours Agenda culturel
C’EST DU FOUJITA
« C’est du Foujita » disait, d’un ton méprisant, un peintre, naguère ami des cubistes, aujourd’hui de l’Institut, à M. Paul Rosenberg, écrasé, en lui montrant cette odalisque lunaire*, de Picasso, dont les membres se conjuguent aux détails du fauteuil qui la contient, ― et l’on ne sait si l’on voit les perles de son collier ou les clous du dossier, les fleurs de sa robe ou les ornements du siège.
« C’est du Meissonnier » disaient, d’un commun accord, plusieurs peintres modernes au vernissage du Temps présent, devant la « Structure molle » de Salvador Dali, où l’on voit, entre autres choses, se dresser, sur un fond de paysage espagnol, une singulière pièce montée, comme il s’en trouve dans les toiles de Jérôme Bosch, faite de jambes et de bras superposés, que terminent de mains crispées, dont l’une étreint en plein ciel un sein gonflé, au bout envenimé. Une tête douloureuse et grimaçante, rejetée en arrière, surmonte le tout.
Je ne voudrais pas être l’auteur de ces deux constructions inquiétantes ― mon dessein étant ailleurs ― mais devant les révoltes et les incompréhensions qu’elles suscitent chez trop d’artistes, je me prends la tête à deux mains, pour essayer d’en découvrir les raisons. Est-ce vraiment si difficile de reconnaître le talent où il se trouve ? Pourquoi les peintres s’obstinent-ils ainsi à demeurer aveugles aux mérites du voisin ? On ne les voit vraiment intéressés que par la médiocrité, surtout lorsqu’elle est l’œuvre d’un disciple. C’est en vain que je repasse en mémoire la liste des incompréhensions historiques, depuis Rome et Venise : Ingres et Delacroix ; Manet et Van Gogh ; Cézanne et Gauguin. Des exemples de générosité et de lucidité viennent s’y opposer : Rubens et Brauwer, Delacroix, Corot et Daumier, si différents les uns des autres, le grand et le modeste s’admirant réciproquement. Mais qui, aujourd’hui, estime véritablement un confrère ?
André Lhote, La Nouvelle Revue Française, 1er avril 1936, pp. 610-613 in L’Esprit NRF, 1908-1940, Éditions Gallimard, 1990, pp.1065-1066.
* Note d'AP : pour cette toile, La Femme nue dans un fauteuil rouge, réalisée en 1932, Pablo Picasso a pris pour modèle sa jeune maîtresse, Marie-Thérèse Walter. Cette toile, aujourd’hui propriété de la Tate Gallery à Londres, est au nombre des toiles choisies pour l’exposition « Picasso: Challenging the Past » qui se tient à la National Gallery jusqu’au 7 juin 2009.
Voir aussi :
- (sur Terres de femmes) 13 juillet 1937/Guernica au Trocadéro ;
- (sur Terres de femmes) 19 mars 1944/Le Désir attrapé par la queue, Picasso ;
- (sur Terres de femmes) 8 avril 1973/Mort de Pablo Picasso (+ vidéo) ;
- (sur Terres de femmes) Dora Maar et Pablo Picasso.
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 24 août à 09:14
Bonjour Les courbes sont bien celles de Marie-Thérèse mais la composition est celle (selon ma thèse) de "Madame Cézanne dans un fauteuil rouge" de Paul Cézanne du Musée de Boston. (Mettre cette peinture en miroir pour le constater... ou pas)