William Marx, dans "Vie du lettré" (Les Editions de Minuit), écrit ceci : "Si petit qu'il soit, le cabinet du lettré extrême-oriental ne correspond en rien aux connotations de fermeture et de finitude habituellement rattachées à ce lieu en Occident. L'été venu, le lettré aime à travailler sous un pavillon au toit de chaume ouvert sur les quatre côtés, posé au bord de l'eau ou dans le creux frais d'une montagne, tel que les figurent les rouleaux paysagers inspirés des poèmes et tableaux de Wang Wei : au loin s'entend l'écho d'une cascade ; arrêté en chemin sur le bord d'un précipice, un visiteur frôle de sa manche la cime des pins ; une nuée traverse le tableau, telle une barrière momentanée entre l'ermitage et le reste du monde. Rien d'immobile : partout, le mouvement propre du monde se fait sentir, ne serait-ce que par la forme oblongue de l'image, qui oblige le regard à parcourir sans cesse l'espace, faute de pouvoir s'arrêter sur un quelconque centre de gravité. Si le lettré aspire à une certaine sérénité, ce n'est pas celle du retrait en soi-même, mais celle de l'échange dynamique avec l'univers qui l'entoure : moins une station qu'un « chemin » (chinois dao, japonais michi : on y reconnaît le « Tao » de Lao-Tseu). D'une façon point trop dissemblable, la critique d'une métaphysique occidentale jugée excessivement essentialiste et paralysante conduit aussi Martin Heidegger à emprunter des « sentiers forestiers » (Holzwege) qui ne mènent nulle part, sinon au cœur des choses et de leur présence mystérieuse : quelle plus belle révélation du caractère prolifique de l'être que le surgissement continu du paysage au cours d'une promenade ou le débouché imprévu sur une clairière ? Ce pourrait être aussi une définition de la lecture et de l'écriture, entendues comme parcours."
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 13 avril à 11:24
Tout cela donne envie de lire "Vie du lettré", mais surtout, de lire tout court.