C’est à l’invitation de la Fédération des Coopératives du Nouveau Québec (F.C.N.Q) que je
me suis rendu durant l’été au camp de pêche de la rivière Tunulik, à la découverte des ombles géants ("chars" pour les québécois).
Cette rivière a la particularité de voir remonter lors de la saison du fraie que les gros ombles dont le poids varie de 8 à 13 kilos. Ce phénomène est unique dans cette partie du Grand Nord.
De nombreux biologistes ont pendant des années étudié cette rivière et imaginé tous les paramètres possibles : ils n’ont pas trouvé la solution. Si la majorité des ombles naissent dans d’autres
rivières, la Tunulik ne récolte, lors du fraie, que les gros issus de toutes les rivières du Grand Nord. Pourquoi ? La question est sans réponse, à la grande joie des passionnés de pêche comme
moi, qui depuis des décennies bourlinguent à travers les grands espaces de cette région du Canada.
J’ai pêché sur les plus grandes rivières telles la rivière Payne, la rivière aux Feuilles, la Kolsoak, la rivière aux Mélézes, la célèbre rivière George, la rivière à la Baleine. Toutes ces
rivières renferment un potentiel de pêche impressionnant. La pression y est quasi inexistante et le seul moyen pour y accéder est l’hydravion. J’ai pêché dans des régions aussi grandes qu’une
bonne dizaine de départements avec pour seuls compagnons : le pilote de l’hydravion et mon guide Inuit Norman. Il connaît cette région comme sa poche et ne craint pas au cours de ces parties de
chasse à coucher dehors, au creux d’un rocher avec les aurores boréales pour couvertures.
Bref ! Je débarque à Montréal par un après midi de juillet avec une température digne de la côte d’Azur. Après avoir récupéré mes bagages et mes précieuses cannes à pêche, je me dirige vers mon
hôtel où je rejoints mon ami Stephen Asthon, Directeur Touristique de la Fédération. C’est lui qui a planifié mon séjour. Pour une fois dirais-je.. car, comme vous le savez peut-être (si vous
êtes un lecteur assidu du webzine) je suis directeur de la programmation d’une agence de voyage " out door " à Genève.
Le lendemain, après un solide petit déjeuner que je qualifierais de " bûcheron ", direction l’aéroport de Dorval. Il est 6 heures du matin et déjà règne une activité fébrile : ici une famille
indienne, là un groupe d’inuit et son stock ( bagages), plus loin des bûcherons avec leurs outils et pour agrémenter les jours de repos bien sûr... la canne à pêche. Un retard de dernière minute
dû à un incident technique retarde le départ de notre Boeing, et j’en profite pour lier amitié avec tout ce beau monde.
Enfin nous partons. Le vol est assez cocasse : selon le nombre de passagers on recule ou on avance les parois mobiles et l’arrière fait office de soute, chose qui serait impossible dans nos
contrées, mais ici nous sommes au Canada et nous partons vers le Grand Nord où les mentalités sont différentes.
A travers le hublot, dans un ciel sans nuages, nous apercevons la forêt québécoise qui s’étend à perte de vue entrecoupée de lacs et de rivières. Nous distinguons quelques camps de pêche
(pourvoiries) dont le seul lien avec le monde moderne est l’hydravion. Au fur et à mesure que nous montons vers le nord, la forêt disparaît pour faire place à la toundra, qui en cette période de
l’année est verdoyante. Les lacs et les rivières sont de plus en plus nombreux. Deux heures trente plus tard nous atterrissons à Kuujjuaq ( fort Chimo pour les " blancs ").
Rien à voir avec Roissy ! Ici, un bâtiment aménagé sert de hall de départ et d’arrivée, de réception pour les bagages, ce n’est pas le souk, mais on y est presque. Cet aéroport fait office de
plaque tournante pour les destination de Résolute Bay, la Terre de Baffin une île grande comme la France. Là aussi l’attente est longue. C’est fou ce que l’on peut attendre dans un aéroport.
Enfin notre dernier moyen de transport arrive et nous embarquons dans le twin-otter.
Le surplus de bagages est arrimé au fond de l’avion. L’aventure commence au bout de la piste. Le twin transporte une dizaine de passagers : six américains qui viennent chaque année, cinq inuit
chargés comme des mulets et Bibi, le seul européen à tenter l’aventure au bout du monde.
Le vol se passe sans histoire. Ne volant pas très haut nous distinguons nettement les accidents du relief, les lacs, la toundra, les rivières et leurs rapides, sans jamais voir aucune habitation.
Il est vrai que le territoire Inuit est grand comme notre vieille France, mais est peuplé seulement de 6000 habitants. Autant dire qu’on ne se bouscule pas et que la pêche au coude à coude ici on
ne connaît pas.
Quelques trente minutes plus tard le camp de la rivière Tunulik est en vu. Un dernier virage et nous voilà dans l’axe de la piste, enfin un semblant de piste. Ici pas de bitume mais une longue
bande sablonneuse au relief genre tôle ondulée. Après avoir touché la piste l’avion est pris de soubresauts, toute la carlingue tremble et moi aussi. Quelques centaines de mètres plus loin
l’avion s’immobilise dans un magnifique tête à queue. Quelle ne fut pas ma surprise en sortant de l’appareil de voir 2 pilotes inuit aux commandes. Dans un effort d’intégration, le gouvernement
canadien donne une chance à ce peuple millénaire de créer des entreprises et de les gérer eux-mêmes. Qui mieux que ces autochtones connaît leur immense territoire et les caprices du temps !
Déjà des inuit s’affairent à décharger nos bagages qui seront transportés dans des petits chalets au confort spartiate face à la Baie d’Ungava. Après avoir pris possession de mon " home ",
j’enfile mes bottes, prépare ma canne à pêche en carbone, un moulinet rempli de mono filament de 30/100 et ma boîte de leurres composée de cuillers " pixies " aux couleurs rouge et orange fluo.
La Pixie est la cuiller reine du Grand Nord, bien qu’elle ne soit pas la seule a être utilisée, c’est la passe-partout du pêcheur. D’après Stephen, elle procure un très haut rendement ici à
Tunulik et il avait drôlement raison le bougre !
Après avoir marché environ 300 mètres, me voici aux pieds des chutes de la Tunulik. Cette rivière prend sa source quelques 300 kilomètres plus au sud et se déverse dans la Baie d’Ungava. C’est
une belle rivière aux eaux limpides et profondes, le grondement des chutes est assourdissant et sa température ne dépasse pas 4°, malheur à celui qui glisse sur les rochers polis par les
glaciers, il a peu de chance de sortir vivant de cette marmite du diable.
Après quelques jets infructueux, une violente secousse au bout de mon poignet faillit me faire perdre l’équilibre. Déjà le moulinet débite son fil à une vitesse hallucinante, l’omble se sentant
pris part dans le courant qui le traîne vers le milieu de la baie et donne de violents coups de tête pour décrocher le leurre. Ces coups de boutoirs se répercutent sur mon poignet, je n’ai jamais
vu une défense aussi agressive, pas même celle d’un saumon. C’est incroyable, depuis le début du combat pas moins de cent mètres de fil sont sortis du moulinet et la partie est loin d’être
gagnée, car il ne donne aucun signe de faiblesse, bien au contraire. Le peu de fil que j’ai réussi à ramener est de nouveau reparti malgré mes tentatives, la tension du fil est extrême et ma
canne ploie d’une manière inquiétante. Elle a beau être en carbone et d’une marque réputée, il y a une limite à tout. Il faut que je la sorte de cette zone où les chutes sont de véritables
alliées pour ce poisson.
Remarquant une petite anse au calme je me dirige vers celle ci où l’assise est stable. Remontant une fois de plus vers les chutes, je parviens à le détourner vers des eaux plus calmes ; sentant
le danger, il repart de plus belle, mais serrant mon frein et n’ayant plus à craindre des chutes j’ai vite fait de l’en dissuader. Cela fait maintenant 10 minutes que le combat a commencé et
l’omble commence à faiblir. Le fil réintègre petit à petit le moulinet et l’omble se rend dans un dernier sursaut rageur. C’est un bel omble à la robe argent, il n’a pas encore la couleur rouge
cramoisi qu’il aurait pris s’il avait réussi à passer les chutes et se retrouver dans les eaux non salées de la Tunulik. Il mesure environ 80 centimètres pour un poids de 8 kilos. Son ventre est
bombé par l’absorption massive de capelans, son corps est constellé de points rouges et jaune. Ce magnifique poisson finira au congélateur et sera préparé pour mon retour en Europe.
Durant mon séjour les touches se sont succédées ainsi que les prises. La majeur partie du poisson est remis à l’eau. Le plaisir du pêcheur est d’avoir un poisson au bout du fil et contrairement à
ce que l’on panse ce n’est pas toujours le pêcheur qui sort gagnant. Je me souviens d’une journée où nous pêchions dans la Baie d’Ungava à la recherche de gros ombles qui, en cette période de
juillet, se rassemblent avant de franchir début août les chutes de la Tunulik. Un omble respectable, aux dire de mon guide Inuit, m’a cassé net mon 30/100 après avoir fait un joli saut périlleux
pour se débarrasser de ma cuiller. Cela arrive parfois si nous ne maîtrisez pas entièrement votre matériel, le temps de relâcher un peu le frein il est trop tard, la vitesse de l’omble combinée à
celles des chutes est un piège redoutable dont je ne fus pas le seul à être victime.
Mais le fin du fin resta pour moi cette journée où, partis de bonne heure avec la marée favorable, nous traînions au large de la Baie sans succès. C’était désespérant, nous tournions autour des
îles à la recherche d’une belle prise dans les hauts-fonds. Mon guide m’expliqua que les gros ombles avaient l’habitude de rester en dehors des chemins migratoires en attendant l’appel de la
Tunulik. Explorant le bord des îles, je laissais ma pixie couler vers le fond, c’est là que nous les trouverions avant que les premiers rayons de soleil fassent leur apparition. Nous venions de
passer un cap au ralenti quand tout coup mon fil se tendit de manière anormale et mon moulinet se mit à chanter. Je hurlais au guide de couper le moteur pensant avoir accroché un rocher, si
nombreux à cet endroit. Tout en faisant marche arrière je récupérais mon fil jusqu’au tendu et c’est là que mon " rocher " fila à toute vitesse vers le large. Le temps de réagir et de mettre le
moteur en marche une bonne centaine de mètres de fil était sorti et la bobine se vidait dangereusement. Le frein desserré au maximum pour éviter la casse, nous mîmes cap au large. Une fois
récupéré une partie du fil je ferrais d’un coup sec pour mieux assurer ma prise. Et la bataille commença. Moi à l’avant, mon guide à l’arrière pour s’occuper du moteur. Après quelques minutes de
lutte, je ramenais mon fil tranquillement pensant avoir gagné. Mon guide pris alors l’épuisette et me demanda de l’amener vers lui. Lorsque le poisson fut à quelques mètres du bateau ; le guide
s’écria " it’s a big char " ( c’est un gros char). Mais c’était une ruse, s’étant laissé monté tranquillement pour mieux nous surprendre, il plongeait vers le fond après un violent coup de tête.
Devant une attaque aussi lâche que sournoise, je fus encore une fois obligé de céder du fil en grande proportion pour ne pas perdre une proie aussi grosse. Ce n’est qu’au bout de vingt minutes de
lutte que je pus apercevoir mon omble à quelques mètres sous l’eau, il se maintenait entre deux eaux, n’ayant plus la force de lutter. Il accepta de ce rendre après un dernier rush désespéré.
C’était le record de la semaine !! Moi le petit européen j’avais battu les américains, même s’ils sortaient grands vainqueurs avec plus de 600 kilos pris dans la semaine.
L’organisation de la pêche est entièrement gérée par les inuit, sur le principe de la coopérative ils exploitent leurs propres camps, possèdent une compagnie aérienne et attribuent les parcours
de pêche. La restauration est assurée par des cuisinières Inuit et les repas sont copieux avec des mets succulents : rôti de caribou, omble au feu de bois, gâteaux inuit avec en prime leur
gentillesse et leur hospitalité. De plus, en cette période de l’année, de magnifiques aurores boréales agrémentent vos nuits et vous donnent le grand frisson. Et il n’est pas rare de voir au
cours d’une partie de pêche les caribous qui se promènent dans la toundra et les phoques qui vous rendent visitent lorsque vous êtes en mer. Quant au paysage il est époustouflant.
La toundra s’étend à perte de vue avec ses collines et ses fleurs qui ne poussent que pendant une très courte période. Au cours de vos promenades vous apercevrez les oiseaux migrateurs et leurs
petits dans les nids qui jonchent la toundra. Peut-être aurez vous la chance d‘apercevoir un ours ou un loup mais ne vous y fiez pas, si le calme règne, il n’est qu’apparent, de nombreux animaux
vous observent depuis leurs cachettes. Malheureusement, seuls les pêcheurs sont admis dans ces camps, mais il existe d’autres organisations, dans le Grand Nord également, sous la responsabilité
des inuit qui vous feront découvrir les multiples facettes de la culture et de la découverte de leur pays. L’âme de Jack London n’est pas loin.