Auto-dérision ? Sans doute. Dans ce petit pays du Cèdre aux dix huit communautés religieuses, les Libanais ont vite fait de s'enfermer dans leurs tiroirs idéologiques. Et en fonction des journaux pour lesquels ils travaillent, les dessinateurs de presse n'y échappent pas.
« La censure, elle passe d'abord par les directeurs de journaux. En général, ils favorisent les dessins qui attaquent le parti d'en face. Par contre, pas question de toucher à leurs alliés », explique Stavro, l'un des caricaturistes les plus renommés sur la place beyrouthine. D'ailleurs, il ne cache avoir claqué plusieurs fois la porte d'ex-employeurs qui se mêlaient trop de ses dessins. « Pour exercer son métier, il faut pouvoir se sentir libre», dit-il.
S'ils sont réunis, ce jeudi 19 mars, dans ce centre culturel du quartier Hamra, c'est justement pour affirmer leur volonté de sortir la plume du tiroir, sans coloration particulière. Le rassemblement d'une dizaine de caricaturistes d'horizons variés se veut être, exposition des dessins à l'appui, l'épilogue d'une aventure complètement inédite : un travail à plusieurs mains autour de thèmes cruciaux pour le Liban de demain - les clans et la politique, le confessionnalisme et les règles communes au Liban.
« L'idée était de faire plancher ces différents caricaturistes sur les mêmes sujets, en les faisant sortir de leur contexte. Le dessinateur doit être capable d'apporter un regard critique sur ce qu'il voit, à commencer par son propre clan ! », souligne le caricaturiste suisse Patrick Chappatte - d'origine libanaise ! - un des initiateurs du projet avec l'Ambassade de Suisse à Beyrouth.
Telle cette poignée de main entre politiciens, tandis que les bombes continuent à tomber sur Beyrouth en tuant des civils, dessinée par Saad Hajo...
Tel ce hall d'aéroport, représenté par Armand Homsi (du quotidien An-Nahar) où débarquent de jeunes couples mariés en provenance de Chypre (où le mariage civil se pratique à la chaîne, à une demi heure en avion de Beyrouth, où l'on doit se marier selon sa religion)...
Dessiner sans trop chatouiller. C'est à un véritable exercice de funambule que se prêtent, au quotidien, les caricaturistes libanais. Car loin des clichés d'un Liban libre et démocratique, la réalité est plus sévère. « Il y a quelques années, je me suis retrouvé au tribunal pour avoir suggéré, dans un dessin, une certaine forme de corruption conditionnant la possibilité pour tel ou tel clan de créer une chaîne de télévision », se souvient Elie Saliba, en fronçant les sourcils.