Pour la résumer très abruptement, disons que La Princesse Renaissance est une courte histoire d’adultère raté à la cour d’Henri II. La princesse a épousé un prince par défaut ; elle en vient à aimer un autre ; écartelée entre son sens de l’honneur et la passion qui l’étreint, elle ne peut se résoudre à sauter le pas et ne cesse de prendre la fuite ; mis au courant de cet amour, le mari gênant fini par mourir de dépit, mais au lieu de se sentir affranchie la princesse se retire, au désespoir de son amant ; comme tous les personnages d’autrefois, chacun finit par mourir, dans les pages du livre ou dans la poursuite de ses marges…
« Il a été discret, disait-elle, tant qu’il a crû être malheureux ; mais une pensée d’un bonheur, même incertain, a fini sa discrétion. Il n’a pu s’imaginer qu’il était aimé sans vouloir qu’on le sût. Il a dit tout ce qu’il pouvait dire ; je n’ai pas avoué que c’était lui que j’aimais, il l’a soupçonné et il a laissé voir ses soupçons. S’il eût eu des certitudes, il en aurait usé de la même sorte. J’ai eu tort de croire qu’il y eût un homme capable de cacher ce qui flatte sa gloire. C’est pourtant pour cet homme, que j’ai cru si différent du reste des hommes, que je me trouve comme les autres femmes, étant si éloignée de leur ressembler. J’ai perdu le cœur et l’estime d’un mari qui devait faire ma félicité. Je serai bientôt regardée de tout le monde comme une personne qui a une folle et violente passion. Celui pour qui je l’ai ne l’ignore plus ; et c’est pour éviter ces malheurs que j’ai hasardé tout mon repos et même ma vie. »
Il y a d’ailleurs, chez Mary Lavergne, de vagues et réguliers échos de Proust, échos qui, plutôt que d’aussitôt nous jeter sur la trace d’une vague influence de lecture, nous troublent en nous faisant réaliser à quel point la phrase proustienne, s’autorisant parfois un léger déhanché maniériste, ou se délectant de la saveur d’une conjugaison rarement usitée dans la conversation quotidienne, se rapproche de cette langue du 17eme siècle, et l’on se prend, dans la lignée du « plagiat par anticipation » de Pierre Bayard (qui n’est après tout qu’un concept très largement repiqué au Borges de l’article « Kafka et ses précurseurs »), à rêver que Proust ait eu une influence jusqu’alors insoupçonnée sur le duc de Saint-Simon ou Mme de la Pioche.
Ce qui serait extraordinaire, c’est que, dans sa reconstruction maniaque d’un livre Renaissance, Mary Lavergne ait sans le savoir expérimenté le syndrôme de Pierre Ménard, et qu’elle ait réécrit un livre se déroulant à la Renaissance et qui existerait déjà – dormant, qui sait, sur les étagères des bibliothèques et des particuliers, et n’attendant plus qu’on y porte un regard neuf, comme s’il venait d’être publié, comme si par ce principe d’anachronisme qui devrait toujours régir nos lectures, il était devenu, par la seule métamorphose d’un nom d’auteur, notre contemporain ? Car comme le disait Borges, encore lui, dans la phrase qui conclut la nouvelle Pierre Ménard, auteur du Quichotte : « Attribuer l’Imitation de Jésus-Christ à Louis-Ferdinand Céline ou à James Joyce, n’est-ce pas renouveler suffisamment les minces conseils spirituels de cet ouvrage ? »