La France n’est pas la seule à être touchée par les scandales liées aux
émoluments faramineux des grands patrons d’entreprise. Les mêmes excès existent au Royaume-Uni, avec l’affaire Fred Goodwin par exemple. Ce dirigeant de la Royal Bank of Scotland vient de partir
en ayant négocié une retraite en or : une rente de 650 000 livres (726 000 euros) annuelle à vie, alors que la banque a enregistré des pertes records en 2008. D’autres départs du même acabit
ont été révélés dans la presse ces dernières années en Europe. Face à ces situations, l’Union européenne peut-elle jouer un rôle dans la limitation de ces rémunérations, ou au moins les
contrôler ? Des discussions ont déjà eu lieu.
Dès 2004, la Commission avait évoqué la question et estimé qu’il fallait établir de grandes lignes européennes sur le sujet. Mais rien n’a suivi. En 2007 ensuite, Jean-Claude Juncker, alors
président de l’Eurogroupe, avait fustigé ces salaires trop élevés, lors d’une réunion des ministres de l’économie de la zone euro. Le Luxembourgeois avait alors demandé à chaque État membre de
communiquer des plans nationaux pour lutter contre « un fléau social et des comportements extravagants ». Une demande restée lettre morte.
Aujourd’hui toutefois, l’atmosphère de crise semble porter le débat plus haut. Le 23 mars, la Commission européenne a organisé un séminaire sur les rémunérations des grands patrons. « Le 21
avril prochain, elle va sortir deux recommandations sur les rémunérations des dirigeants en général, et une spéciale pour les acteurs des marchés financiers (traders…), précise Pervenche Berès,
eurodéputée socialiste et présidente de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen L’idée est de déboucher sur une initiative de nature législative, notamment pour
que les superviseurs nationaux et européens, comme l’AMF, puissent mettre leur nez dans les histoires de rémunération. »
Lors de son intervention, l’eurodéputée a insisté sur le fait qu’on a toujours justifié l’énorme différence de rémunération entre un dirigeant et un travailleur ordinaire par la responsabilité
qui lui incombait dans la survie de l’entreprise. Mais, a-t-elle souligné, « la crise a démontré que trop souvent, il n’y avait pas de lien entre la responsabilité et le salaire ».
Si ces recommandations aboutissent, un texte de loi devrait arriver sur les bancs du Parlement européen à l’automne 2009.
« Ces sujets seront à traiter en priorité par le prochain Parlement. Si une majorité de gauche est élue aux élections de juin prochain, ce sera l’un de nos grands sujets d’action. Tout comme
la question de l’architecture financière », souligne Pervenche Berès. Ensuite aux États, qui en ont la compétence, de fixer des règles plus strictes d’encadrement des
rémunérations.
Scandales en série
Année Dirigeant Pays Entreprise Parachute doré
2005 Daniel Bernard France Carrefour 38 millions euros
2006 Noël Forgeard France EADS 8,5 millions euros
2007 Serge Tchuruk France Alcatel 5,7 millions euros
2007 Antoine Zacharias France Vinci 13 millions euros
2008 Patricia Russo France Alcatel 6 millions euros
2009
Fred Goodwin
Royaume-Uni
Royal Bank of Scotland
650 000 livres (726 000 euros)
de retraite annuelle à vie
2009 Douglas Poling États-Unis AIG (assurances) 6,4 millions de dollars
2009 Thierry Morin France Valeo 3,2 millions d’euros
Exemples à suivre
Les Pays-Bas montrent la voie
Le 9 septembre 2008, le Parlement néerlandais est devenu le premier au monde à voter une loi visant à limiter les rémunérations outrageuses de certains grands chefs d’entreprise. Depuis le 1 er janvier 2009, les PDG et directeurs des 90 sociétés cotées à la Bourse d’Amsterdam doivent payer 30 % d’impôt de plus sur leurs primes, s’ils gagnent plus de 500 000 euros annuels net, et si ces primes dépassent leur salaire annuel. Les sociétés s’exposent, quant à elles, à une très lourde pénalité : 15 % d’impôts supplémentaires sur leurs bénéfices si elles augmentent un directeur à quelques mois d’un départ. Enfin, les 700 directeurs de fonds d’investissement du pays doivent reverser au fisc 25% des revenus tirés des actions qu’ils détiennent dans leur propre société.
Avec la crise et de nouveaux scandales, les Pays-Bas veulent même aller plus loin. Le Parlement discute plusieurs mesures, comme l’embargo sur les primes.
Aux Etats-Unis, un cadre plus strict
Barack Obama a déjà plafonné à 500 000 dollars par an le salaire des dirigeants de banques qui ont bénéficié d’une aide fédérale, et annulé la possibilité de parachutes dorés en cas de licenciement pour les dix plus hauts responsables de ces groupes. Et des mesures plus sévères sont prévues pour limiter les rémunérations des patrons dans le secteur financier. La Chambre des représentants a déjà voté un texte qui taxerait les bonus à hauteur de 90 % d’une entreprise aidée par l’Etat.
Fanny Costes