La nuit une fois tombée, Karim fait se regrouper les voitures. Il veut entrer dans Gilgit en convoi, lui debout dans la jeep de tête comme un commandant à la tête de ses chars. Il garde la nostalgie de l’armée ; son père était militaire et lui aurait voulu faire de même, dans cette élite pakistanaise. « Mais j’étais insuffisant en math », regrette-t-il. La Toyota de cuisine a eu son pare-brise cassé par un caillou et nous abandonne pour aller réparer. Une allée d’arbres : ce sont les faubourgs de Gilgit. La rue principale est sans lumières. Les hommes, jeunes et vieux, discutent dans l’obscurité, assis sur les trottoirs. Les phares éclairent fugitivement leurs kamiz claires ou leur béret afghan, sorte de turban aplati. Il fait plus chaud qu’en montagne, nous sommes descendus à 1600 m. Nous longeons la rivière à nouveau. Puis s’ouvre une nouvelle allée d’arbres. L’Hôtel Riviera est un grand bâtiment entouré d’un jardin. Il a un charme presque colonial dès l’entrée. On nous sert un sirop d’abricot de bienvenue – très sucré – avant de nous donner nos chambres. Les abricots sont une production célèbre depuis l’antiquité dans tous les contreforts de l’Himalaya, au Pakistan comme en Inde ou au Népal. La douche est nécessaire. Le dîner est servi à 21 h sur la pelouse à l’arrière de l’hôtel.
Nous goûtons l’alcool de mûre achetée. La boisson est, certes, alcoolisée, mais faible en goût. Comme tout ce qui est fort, elle plaît à Karim qui finira la bouteille. La soupe nous est servie mais le reste est au buffet. Tous se ruent sur « les crudités », signe de frustration sévère ces jours derniers. Mais celles proposées ce soir n’ont rien que de très banal. Je préfère donc aller directement aux plats chauds, de cuisine plus locale, où il n’y a personne encore. Un poulet tomate, des légumes et du dal (purée de lentilles) me tentent. Je fais ensuite un détour aux brochettes, alors que les autres se réagglutinent autour des salades ! Cela me permet de goûter au poulet mariné grillé et au bœuf haché épicé.
Au matin Karim, toujours patriote, nous distribue à chacun un petit drapeau du Pakistan en pins’. Il fera le bonheur d’un petit garçon de 9 ans qui m’est très proche.
Nous allons ensuite dans le bazar. Le côté chinois vend des babioles utilitaires, mais Marie-Claude y trouve quand même une jonque en balsa à assembler pour 200 roupies. Le côté afghan vend des tapis et Marie-Claude en achète un petit pour 130 $. Les prix des tapis sont à négocier soigneusement car le bulletin de douane que le vendeur vous donne, une fois la transaction faite, indiquent parfois le quart du prix proposé. Peut-être est-ce pour nous faire payer moins de droits de douane ? Ou plutôt pour que le commerçant fraude le fisc pakistanais avec cette « preuve » de transaction ? Je penche surtout pour cette dernière hypothèse. Nous trouvons aussi des objets en cuivre, des bijoux semi-précieux et des antiquités sans grand intérêt. Francis achète un pistolet damasquiné, sans doute pas authentique mais joli, pour sa décoration d’intérieur. Une vitrine expose en piles bien rangées des dizaines de paquets de biscuits occidentaux. Un poissonnier barbu orne ses épaules de deux poissons de rivière dodus. Impassible, il pose pour la photo, tandis que son jeune aide derrière lui ne peut réprimer un sourire.Toute une flopée de petits écoliers en pantalon gris et chemise bleue sortent d’une école. Ils ne portent pas de cravate mais le col grand ouvert. Ils sont mignons à 6 ou 7 ans, le bleu vif ravivant leur teint. Un adolescent en kamiz vert lustré promène en laisse… une chèvre.
Notre repas a été commandé dans le restaurant de l’hôtel Ibex, au centre ville. Il y a ceux qui veulent manger déchaussés, assis en tailleur sur des tapis crasseux – mais au-dehors ; et ceux qui préfèrent le dedans, avec tables et chaises, parmi la population locale et devant un écran de télévision locale. Il diffuse un feuilleton indien historico-romantique. Un couple de pères déjeune avec leurs fils. Les mères sont absentes, bien sûr, « we are in Pakistan, now » comme le répète souvent Karim. Poulet tomate, brochettes de bœuf, riz aux carottes et raisins secs, gombos, nous déjeunons bien. La soif nous tient toujours et à nous six qui déjeunons à l’intérieur, nous descendons cinq bouteilles d’eau minérale d’un litre et demi !