Certes, certains succès de librairie contemporains ne sont pas sans rappeler le poisson d’avril – pensons aux thèses délirantes de Meyssan sur les attentats du 11 septembre ou à Ennemis publics de BHL et Houellebecq – mais seul le public a pu les prendre pour tels, auteurs et éditeurs les considérant avec le plus grand sérieux du monde…
L’histoire littéraire offre cependant quelques exemples savoureux d’amusantes supercheries. Certaines relèvent de la simple escroquerie. J’aurai ainsi l’occasion d’évoquer dans quelques jours le cas de Cousin, qui se faisait appeler « comte de Courchamps », auteur des Souvenirs de la marquise de Créquy (eux-mêmes composés de toute pièce à partir de sources diverses), qui avait publié en 1841 dans La Presse un feuilleton intitulé Le Val funeste, lequel n’était qu’un plagiat, à la virgule près, d’un roman écrit par le comte Potocki en 1810. La découverte du pot aux roses mit fin à la carrière de Courchamps et les railleurs parlèrent alors de « Vol funeste » à ses dépens. Plus chanceux, Apollinaire « emprunta » à d’obscurs auteurs érotiques du XIXe siècle de nombreux passages de ses Onze mille verges sans être inquiété. On pourra encore citer le cas d’un douteux plaisantin qui, profitant de la vogue des autographes à la fin du même siècle, tenta de vendre fort cher à un collectionneur crédule une lettre dans laquelle Jésus déclarait sa flamme à Marie-Madeleine… en français !
D’autres poissons d’avril relèvent en revanche du pur canular, le but premier étant de débusquer les vanités des spécialistes ou prétendus tels. Roger Peyrefitte raconte dans Tableaux de chasse comment Fernand Legros, faussaire de génie, trompa nombre d’experts parmi les plus éminents. Le faux Journal d’Adolf Hitler fut, lui aussi, pris très au sérieux avant qu’un simple chimiste ne découvre que la colle employée pour les cahiers contenait des composants qui n’existaient pas à l’époque. Mais nous nous trouvons encore là à la frontière du canular et de l’escroquerie. La mystification gratuite, le vrai poisson d’avril est d’une autre nature, et l’un des orfèvres du genre fut sans conteste Pascal Pia, critique, écrivain, grand érudit devant l’Eternel des Lettres et ami de Malraux.
En 1949, il préfaça avec Maurice Saillet une édition d’un texte mythique et introuvable de
Quelques années auparavant, Pia avait déjà trompé son monde en publiant deux textes « inédits » de Baudelaire et un poème érotique de Rimbaud. En 1925, il fit en effet paraître chez Jean Fort – un éditeur habitué des érotiques littéraires vendues sous le manteau – A une courtisane, long poème très leste qu’il attribuait à l’auteur des Fleurs du Mal, mais qu’il avait lui-même composé. Là encore, bien des spécialistes furent mystifiés et il faut ajouter qu’aujourd’hui, quelques libraires de livres anciens peu scrupuleux ou ignorants continuent de proposer – à prix élevé – cette édition luxueuse illustrée d’eaux-fortes de Creixmans, en l’attribuant à Baudelaire. Le livre ayant été saisi et placé à l’Enfer de la BNF, on en retrouve la notice dans le catalogue rédigé par Pascal Pia, Les Livres de l’Enfer. Voici ce qu’il en dit :
« Quoique ce pastiche de Baudelaire, composé avec trop de hâte, ne soit pas des plus réussis, quelques exégètes du poète des Fleurs du Mal l’ont pris au sérieux. Nous n’aurons pas la cruauté de les nommer. »
Qui, aujourd’hui, pourrait encore pasticher un auteur et exhumer un « inédit » qui n’en serait pas un, pour le plus grand plaisir de mystifier les exégètes ? Il faut, il est vrai, beaucoup de talent pour pratiquer l’art du pastiche (ainsi ceux, désopilants, de Marguerite Duras dus à Patrick Rambaud). Un art dont Félicien Marceau disait qu’il était « l’expression suprême de la critique littéraire ».
Illustrations : Carte “Poisson d’avril” - Pascal Pia - Charles Baudelaire, par Carjat.