Michael Cook - Le 1er avril 2009. Les dirigeants du G20 auront à entendre cette semaine à Londres les doléances pour renverser la tendance d’un protectionnisme croissant et ouvrir leurs marchés sans condition aux pays les plus pauvres. L’hypothèse simple est ici que le démantèlement des barrières commerciales Nord-Sud, la suppression des subventions des pays riches à leur agriculture et leur industrie, ainsi que la fin du dumping de leurs produits sur les marchés des pays pauvres fournira une solution rapide mais durable pour que le Sud se sortent de sa pauvreté par le commerce.
Mais l’Afrique pourrait aussi obtenir des gains plus importants rapidement par la mise en place de mesures régionales entre voisins.
En effet, en moyenne les pays subsahariens imposent un droit de douane de 34% sur les produits agricoles en provenance d’autres pays africains et de 21% sur les produits manufacturés. Ces taux font de l’Afrique la région la plus protectionniste de la planète. Les agences internationales estiment qu’éliminer ces droits de douane générerait des gains immédiats pour les économies subsahariennes de l’ordre de 1,2 milliard de dollars.
En réalité 70% de toutes les barrières commerciales sont imposées par les États dans des pays pauvres sur leurs populations. La raison de leur maintien dans la pauvreté – contrairement à l’Inde après qu’elle a amélioré ses politiques commerciales – est l’obstruction délibérée qui étouffe l’initiative et les échanges pour les populations.
Mais ce sont plus que des barrières formelles qui font obstacle au commerce régional. Les exportateurs et les importateurs font face habituellement à une bureaucratie déconcertante et inerte, gangrénée par la corruption. Un sud-africain voulant envoyer des biens à 600km de Johannesburg à Maputo au Mozambique doit prévoir 28 jours pour les inspections et la paperasse administrative. Par ailleurs, l’infrastructure, en particulier les routes, est généralement si mauvaise que, par exemple, en Afrique de l’Est, le transport peut ajouter un coût équivalent aux trois quarts de la valeur des exportations transportées.
Ces barrières existent toujours entre pays qui sont formellement des partenaires dans des regroupements régionaux tels que le COMESA (Marché commun d’Afrique orientale et australe), le SADCC (Conférence pour la coordination du développement de l’Afrique australe), l’EAC (communauté Est-Africaine) ou l’ECOWAS (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), qui sont tenus par un traité de promouvoir des marchés communs et l’intégration économique.
En fait les instincts protectionnistes restent forts. Une réunion récente d’hommes d’affaires ougandais, tenue en apparence pour discuter de comment le pays pourrait accroître ses exportations vers ses partenaires de l’EAC, s’est transformée en une litanie de plaintes à l’encontre de la concurrence en provenance de sociétés plus importantes au Kenya ou en Tanzanie, avec des demandes de protections internes en même temps que des demandes pour un accès libre au marché des autres. Les tanzaniens n’ont pas fait beaucoup mieux : aussitôt les droits de douane dans l’EAC éliminés, l’Etat a introduit des nouvelles barrières au commerce très coûteuses, comme les pré-inspections obligatoires des importations.
Si les avantages du libre échange sont si évidents que ce que la Banque Mondiale et d’autres le disent, pourquoi l’Afrique est-elle si résistante à faire ce qu’elle demande aux riches de faire ?
Premièrement, il y persiste un héritage très fort, depuis les premiers jours des indépendances, en faveur d’un contrôle économique étatique auquel les Etats hésitent à tourner le dos, pour des raisons d’idéologie ou de politique.
Deuxièmement, l’argument habituel en faveur des droits de douanes est qu’ils représentent une source majeure de revenus publics dans les Etats pauvres. Cependant, les initiatives de donateurs pour compenser cela en améliorant l’efficacité des prélèvements fiscaux et l’élimination de la corruption du système rencontrent une obstruction interne. Des responsables britanniques de projets au Mozambique ont dû quitter leur travail, leurs vies étant menacées par des responsables de la collecte fiscale cherchant à protéger leur revenu illégal.
Troisièmement, de nombreux États établissent des restrictions aux importations et des exemptions spéciales comme récompenses pour les hommes d’affaire qui les soutiennent –ou l’inverse pour leurs opposants. On voit même des enchères pour de telles faveurs, qui génère des revenus en dehors des comptes officiels. Du point de vue de l’homme d’affaire, pourquoi ne pas payer une prime pour s’assurer un monopole protégé des importations ?
Il y aura plus important pour les africains du sud que le G20 à Londres : la réunion des trois blocs de commerce régional oriental et austral (EAC, SADC et COMESA) à Lusaka en avril. Un des objectifs premiers sera de maintenir l’aide pour « éliminer les contraintes d’infrastructure qui étouffent le progrès vers une expansion du commerce régional, la croissance économique et une réduction plus rapide le long du couloir nord-sud » planifié des Grands Lacs à l’Afrique du Sud.
Un tel couloir de transport insufflerait effectivement une dynamique économique à la région. Mais il paraît décevant que les dirigeants régionaux donnent la priorité à la recherche de davantage d’aide. Leurs performances passées dans l’utilisation de cette aide sont peu convaincantes. En témoigne par exemple la mythique autoroute transafricaine supposée être financée par les donateurs dans les années 70, une autoroute ne menant nulle part. En Ouganda en 2007 le budget de reconstruction des routes rurales financé par les donateurs a été détourné pour financer la réunion des Chefs d’Etat du Commonwealth et un nouveau hall de réception au palais présidentiel.
Les délégués se déplaçant à Lusaka devraient au contraire se concentrer sur des mesures qu’ils peuvent mettre en place eux-mêmes pour accélérer la liberté de commercer au sein de l’Afrique. La pression exercée sur les pays du G20 pour éliminer le protectionnisme et ouvrir leurs marchés sans condition est une bonne chose. Mais les appels des africains résonneraient mieux si les Etats africains montraient qu’ils font de leur mieux pour aider leurs propres populations.
Michael Cook est ancien Haut Commissaire britannique en Ouganda.