(Partie 2)
Au cœur de l’arène olympique
Jim Craig
Le tournoi de hockey des Jeux est prévu pour se dérouler en deux phases : les douze équipes participantes sont réparties en deux groupes, les deux leaders de chaque côté à la fin de ce premier tour se retrouvant dans une poule finale à quatre (au cours de laquelle les points obtenus contre l’autre formation qualifiée sont conservés). Les Américains se retrouvent dans le groupe bleu, et évitent l’Union Soviétique, mais vont se trouver confronter à d’autres adversaires particulièrement redoutables. La qualification pour le second tour est loin d’être acquise d’avance, et la première rencontre face à la Suède va tirer la sonnette d’alarme. Menés deux buts à un durant le troisième tiers, les boys ne doivent leur salut qu’à un sursaut du défenseur Bill Baker, qui égalise à vingt-sept secondes du coup de trompe final. Ce premier point glané dans la douleur va cependant mettre sur orbite un groupe de plus en plus uni, et déjà au pied du mur avant d’affronter la Tchécoslovaquie, autre grande école de hockey européenne, habituée des podiums (douze médailles consécutives aux mondiaux dont trois titres en 1972, 1976 et 1977, deux médailles de bronze aux Jeux à Innsbruck en 1964 et Sapporo en 1972, et deux d’argent à Grenoble en 1968 et Innsbruck en 1976). Emmenés par les frères Stastny (Petr, Marian et Anton, qui feront les beaux jours de la franchise des Nordiques de Québec durant la décennie 80), ils sont les candidats les plus sérieux à l’obtention de la médaille d’argent. Malheureusement pour eux, ils tombent sur une équipe américaine révoltée, et survoltée, qui leur inflige une petite correction (7-3), en offrant un récital de vitesse et de collectif (sept buteurs différents) des plus séduisants. Les hommes à la bannière étoilée sont désormais entrés dans leur tournoi : la Norvège (5-1) et la Roumanie (7-2) ne sont que pures formalités, et l’Allemagne de l’Ouest, bien que crainte par Herb Brooks et menant un temps 2-0, ne résiste pas elle non plus, battue 4-2. Les Américains sont ainsi qualifiés pour la ronde finale. Seule ombre au tableau, ils finissent à la seconde place du groupe, les Suédois ayant également remporté tous leurs matchs, avec une meilleure différence de buts. Ils devront donc affronter lors de leur première rencontre les Soviétiques, qui ont sans surprise surclassé leurs adversaires de poule, et sont plus que jamais favoris pour la conquête du titre suprême.
Seul un miracle…
Mike Eruzione
22 février, l‘heure du grand défi a sonné. Dans le vestiaire américain, Herb Brooks distille les dernières consignes à ses troupes, et tente de trouver les mots justes pour les motiver, alors qu’ils sont au pied d’un Everest vertigineux. Sa plus vive inquiétude est que son équipe ait trop d’égards envers des adversaires qu’ils magnifient, et que le cauchemar du Madison ne rejaillisse dans les têtes à un moment donné. Durant la traditionnelle causerie d’avant-match, il leur déclare ainsi : « Les grands moments naissent de grandes opportunités. Et c’est ce que vous avez, ce soir […] Ce moment est le vôtre ».
Les joueurs américains entrent sur la glace plus déterminés que jamais, mais doivent faire face à une vague déferlante rouge. Les Soviétiques privent leurs adversaires de palet, et font le siège de la cage d’un Jim Craig, qui apparaît rapidement être dans un bon soir. Littéralement bombardé (dix-huit tirs lors de la première période), il multiplie les sauvetages de grande classe, mais ne peut rien lorsqu’à la neuvième minute de jeu, Vladimir Krutov dévie un lancer d’Aleksei Kasatonov, ne lui laissant pas la moindre chance. Les hommes de Brooks restent cependant concentrés, défendent en bloc et font preuve d’une solidarité à toute épreuve. Sur une récupération à la bleue, Pavelich adresse une transversale millimétrée pour Buzz Schneider, qui décoche un slapshot foudroyant, qui trouve la lucarne opposée de Tretiak. La joie est malgré tout de courte durée, puisque dans la foulée, Sergei Makarov, d’un subtil revers, redonne l’avantage aux siens. La sirène annonçant la fin du premier tiers approche, et l’on se dit que les Américains ont déjà réussi un petit exploit en tenant ainsi tête à l’ogre soviétique durant vingt minutes. Moins de dix secondes à jouer, le défenseur Dave Christian envoie un dernier tir de son camp, sans danger apparent. Tretiak, faisant preuve d’une nonchalance inhabituelle, repousse de la botte, mais laisse un rebond surprenant. L’arrière-garde soviétique, léthargique sur l’action, ne voit pas Mark Johnson s’infiltrer, récupérer la rondelle, avant de tromper un Tretiak médusé. Le chronomètre affiche alors zéro seconde. Après délibération, et malgré les protestations de Tikhonov, les arbitres valident le but. Les Américains sont dès lors plus que jamais dans la partie.
Au retour des vestiaires, une immense surprise attend le public et les deux formations. Tikhonov, visiblement exaspéré par l’erreur de son cerbère, a décidé de le sanctionner, et de le remplacer. A la légende vivante Tretiak, succède ainsi dans entre les poteaux soviétiques Vladimir Myshkin, gardien de talent, mais ne possédant ni l’expérience, ni l’aura de son aîné. Les rouges accélèrent néanmoins le rythme, reprennent l’avantage au bout de deux minutes par l’intermédiaire de Maltsev en supériorité numérique, et étouffe peu à peu leurs rivaux, ne leur laissant que deux petits tirs en tout et pour tout lors de cette période. Portés par un Jim Craig en état de grâce, les Américains font front, et regagnent les vestiaires avec un seul but de retard au tableau d’affichage. A l’aube d’un troisième tiers décisif qui s’annonce palpitant, le suspense reste entier.
Portés par une foule toute acquise à leur cause, les boys jettent leurs dernières forces dans la bataille. La préparation savamment concoctée par Herb Brooks, basée sur un conditionnement physique strict et méticuleux, porte ses fruits. Les joueurs américains sont désormais capables de rivaliser durant toute une rencontre avec leur homologues soviétiques sur le plan du patinage, et ils imposent en outre à ces derniers un pressing avant qui leur pose énormément de problèmes. Ils balbutient leur hockey, commencent à déjouer, et à s’impatienter. Krutov écope bientôt d’une pénalité pour crosse haute. La pression s’accentue devant la cage de Myshkin, mais la défensive tient le choc. La supériorité numérique touche à sa fin. Sur une ultime incursion dans la zone soviétique, Mark Johnson reçoit une passe de Silk au second poteau, et égalise en trouvant l’ouverture entre les jambes de Myshkin. Trois buts partout, la patinoire de Lake Placid entre en ébullition. Une minute plus tard, après une nouvelle parade décisive de Craig, le palet revient sur Schneider, qui adresse un tir lointain, stoppé facilement par Myshkin. Le forecheck orchestré par Harrington et Pavelich fait cependant perdre le contrôle de la rondelle à la défense. Elle échoit dans la palette du capitaine Mike Eruzione, qui d’un lancer balayé puissant, crucifie le portier soviétique, et plonge l’Amérique entière dans une transe indescriptible. Les USA sont pour la première fois du match en tête, et ils ne lâcheront plus cet avantage, Jim Craig enrayant les dernières tentatives d’une armée rouge désespérée. Durant les derniers instants de cette rencontre électrisante et suffocante, le commentateur d’ABC Al Michaels, lâche cette phrase, passée à la postérite : « Eleven seconds, you’ve got ten seconds, the countdown going on right now ! Morrow, up to Silk. Five seconds left in the game. Do you believe in miracles ? YES ! » (Onze secondes, il vous reste dix secondes, le compte à rebours à commencer ! Morrow, pour Silk. Il reste cinq secondes dans le match. Croyez-vous aux miracles ? OUI !). Le coup de trompe final retentit, et c’est dans une explosion d’allégresse inénarrable que les joueurs sanctifient leur triomphe, accompagnés d’un vrombissant « USA ! USA ! USA ! », entonné par le public de Lake Placid, en communion absolue avec son équipe .Les college boys, ces universitaires amateurs, viennent ainsi de réaliser un exploit sensationnel en venant à bout de la Dream Team soviétique. Pourtant, rien n’est alors acquis quant à la médaille d’or, le système de poule finale laissant encore la possibilité à la Suède et à l’URSS de terminer en tête. Une défaite contre la Finlande, et le rêve serait brisé net… Jim Craig déclare ainsi en conférence de presse : « Si nous ne gagnons pas demain, les gens nous oublieront ». Mais, portés par l’élan indicible impulsé par la victoire contre les Soviétiques, les hommes de Brooks ne faillent pas, et malgré quelques frayeurs (ils sont notamment menés 2-1 à l’abord du dernier tiers), remportent la rencontre 4-2, et hissent la bannière étoilée sur le toit de l’olympisme, prolongeant le miracle jusqu’à son terme.
Cette médaille d’or, outre le caractère épique inspiré par l’apothéose sportive, réchauffe le cœur d’une Amérique meurtrie. La victoire de ses boys est une étincelle rédemptrice, qui lui insuffle le sentiment dont elle a le plus besoin dans les jours sombres qu’elle traverse : l’espoir…
Crédits photos : - W.L & Associates, Inc. - The Agency Group, LTD. - Sports Illustrated