Lettre ouverte : Sacrifier les droits humains pour le commerce?

Publié le 01 avril 2009 par Hugo Jolly

Lettre ouverte aux députés du Parti Libéral du Canada

Sacrifier les droits humains pour le commerce?

Je suis un Québécois actuellement délégué du Comité de solidarité avec la Colombie du Regroupement Autonome des Jeunes (une organisation jeunesse existant depuis plus de 25 ans).

Nous avons appris récemment que le gouvernement Harper allait enclencher le processus pour le traité de libre-échange Canada-Colombie, un traité qui aurait pour conséquence de légitimer un gouvernement qui bafoue les droits humains et qui est décrié par des organisations internationales telles Human Rights Watch et Amnistie internationale.

Je travaille avec plusieurs organisations de droits humains en Colombie et ce traité de libre-échange saboterait grandement nos efforts. Le gouvernement Uribe n’a aucun respect pour les droits humains et j’ai été témoin du laxisme à cet égard, quand ce n’était pas des violations du gouvernement lui-même, qui, selon Human Rigths Watch, a commis plus d’exactions en une année qu’il y en a eu au Chili sous la dictature de Pinochet. 40% des membres du Congrès sont actuellement sous enquête ou emprisonnés pour avoir des liens avec les paramilitaires, des milices d’extrême droites qui menacent et assassinent des paysans pour voler leurs terres, ainsi que les opposants politiques du gouvernement.

Loin de combattre les assassinats politiques, le gouvernement participe à l’impunité en faisant traîner les enquêtes et processus judiciaires. Ce fut le cas dans l’affaire, toujours irrésolue, de Jhonny Silva, cet étudiant assassiné en pleine grève par la police en 2005.Le gouvernement a fait traîner le procès en changeant 9 fois de juge, l’enquête fut finalement abandonnée, faute de fonds. Pour ajouter de l’huile sur le feu, le président Uribe, le gouvernement, les forces de l’ordre et les médias stigmatisent les étudiants, n’hésitant pas à les qualifier de terroristes de la guérilla, ce qui a pour effet de les donner en cible aux milices paramilitaires. Ce fut le cas de Diego Marin, leader étudiant, qui, quelques semaines après s’être fait traiter de « terroriste » par le président lui-même, dût s’exiler en Norvège à cause de menaces de mort.

J’ai vu également des étudiants qui n’ont pas vu leur famille depuis des années parce qu’ils doivent se cacher des paramilitaires qui les ont menacés à mort. D’autres furent assassinés quelques jours après notre rencontre. Je ne compte plus le nombre de déplacés que je croise sur ma route à Bogotá qui auparavant possédaient une ferme et qui, aujourd’hui, en sont à mendier dans les rues pour nourrir leur famille. Le gouvernement s’en lave les mains traitant ces personnes de « terroristes en civil », afin de légitimer leur mort ou leur misère.

C’est pour ces considérations que le Congrès américain a bloqué l’adoption de ce traité malgré l’insistance de George W. Bush et que Barack Obama refuse de s’engager dans un tel traité. La Norvège a également fait marche arrière pour les mêmes raisons.

Pendant ce temps, notre organisation, le RAJ, tente de faire une tournée de sensibilisation et nous sommes toujours en attente d’une réponse de l’ambassade du Canada en Colombie pour obtenir les visas des conférenciers colombiens. Le délai normal de traitement d’une telle demande est dépassé de beaucoup. Nous avons appris aujourd’hui que cette même ambassade a effectué une tournée d’appels pour convaincre les députés de la chambre des communes d’appuyer le projet de traité de libre-échange. Néanmoins, le Bloc Québécois et le NPD ont déjà pris leur responsabilité en s’opposant à cet accord. Ce seront donc les députés libéraux qui trancheront le débat.

Le Canada s’est construit une image de promotion du respect des droits humains. Ce traité aura un impact sur la vie des Canadiens et Canadiennes en plus d’engager le Canada avec des crimes d’État atroces: des assassinats, des enlèvements, menaces de mort, etc. Stephen Harper clame haut et fort qu’un tel traité améliorera les conditions des droits humains. Je vois très mal comment donner plus de force à un gouvernement qui viole systématiquement les droits humains peut améliorer les choses. En fait, Stephen Harper nous montre son vrai visage : il est prêt à tout pour favoriser son idéologie, voire bafouer les droits humains et la démocratie.

Les libéraux auront donc un choix à faire : se démarquer des conservateurs et bloquer ce traité ou se plier devant Stephen Harper et porter la responsabilité des conséquences de ce traité en Colombie comme au Canada.

David Lanneville

Délégué du Regroupement Autonome des Jeunes en Colombie