Les Impromptus Littéraires - 5 couleurs, minimum...

Par Sandy458

« Bonne nuit les enfants... et je ne veux pas vous entendre ! C'est bien compris ? »

En guise de réponse, nous avions émis quelques gloussements étouffés par le bruissement des draps rabattus en toute hâte sur nos têtes.

La lumière éteinte, nous avions épié le bruit des pas de notre père s'éloignant dans le couloir. Les lames du parquet avaient craqué, trahissant la descente paternelle de l'escalier, et nous avaient ainsi offert le signal indéniable que la soirée nous appartenait.

« Psst, tu dors ? » chuchota mon frère dans le noir, le corps à demi sorti hors de son lit.

« Non...et toi ?» lui demandais-je.

« Espèce d'idiote, si je te parle c'est que je ne dors pas ! On y va ? »

En guise de réponse, je l'avais rejoint sur son lit. Il fouilla un moment sous son matelas et en sortit une petite boite en bois sombre. Une clé en métal gris était introduite dans la serrure qui en condamnait l'ouverture et mon frère la tourna trois fois vers la gauche.  

Agenouillés sur son édredon, nous contemplâmes, le souffle suspendu, le réceptacle posé entre nous deux.

Il s'ouvrit doucement, nous enveloppant d'une chaleur irradiante.

Une faible lumière blanche naquit d'un minuscule point situé au fond de la boîte, se distendit et darda des bras aux extrémités arrondies, dans plusieurs directions.

Les bras s'étirèrent, s'enroulèrent sur eux-mêmes puis ils nous enveloppèrent délicatement d'un contact chaud et doux comme une pluie d'été.

Comme à l'accoutumée, nous n'eûmes pas peur, conquis et partant pour une nouvelle expérience fantasmagorique.

De la base des bras se diffusa, par un mouvement ondulatoire, une lumière diaphane qui variait en intensité.

Bientôt, elle présenta des teintes allant du rouge au violet en passant par le jaune, le vert ou encore l'indigo.

Se réunissant pour former un long ruban pulsatile, les bras résonnèrent chacun d'une note distincte, composant une gamme musicale mélodieuse et raffinée.

« Vite, monte dessus, il va s'élancer ! » s'écria mon frère qui chevauchait déjà l'arc-en- ciel. Il m'agrippa fermement par le bras et me fit monter derrière lui.

L'arc se cabra telle Pégase et se torsadant sur lui-même, il intensifia ses teintes.

Eclaboussant notre chambre de gouttes de lumière irisée, il bondit par la fenêtre entre-ouverte et escalada l'éther.

Les nuages se teintaient à son contact tandis que l'arc les perçait, les étoiles palpitaient pour saluer notre fulgurant passage et la lune fermait les yeux, étourdie par tant d'agitation.

Cramponnés à notre cheval fou, nous goutions à l'ivresse de la saturation de tous nos sens, les yeux emplis des vibrations chromatiques.

Partition palpable de couleurs et de sons, notre ruban fantastique nous emportait dans une symphonie d'un autre monde, virevoltant sur lui-même et gagnant sans cesse en intensité.

Plus il accélérait son mouvement rotatoire, plus les couleurs fusionnaient en une lumière blanche aveuglante qui se déversa en torrent dans notre cerveau, anéantissant toutes nos sensations, diluant jusqu'à notre propre conscience.

Vaincue par sa propre fureur, la lumière blanche se contracta et explosa en une multitude de flèches mélodieuses diaprées nous désagrégeant en autant de parcelles d'énergie.

Le lendemain matin, nous nous réveillâmes, l'esprit confus, la boîte mystérieuse remisée sous le matelas de mon frère.

Nous n'avions pas besoin de nous concerter, d'un échange de regard complice nous savions que ce soir, à nouveau, nos repartirions pour une  nouvelle épopée onirique...

*********

La clé se volatilisa bientôt, séquestrant l'arc de la nuit dans sa boîte inviolable.

Peu de temps après, nous avons été dotés chacun d'une chambre individuelle : frère et sœur n'étaient plus en âge de partager le même espace.

Je fus heureuse de créer mon univers personnel bien qu'un peu triste de devoir délaisser mon frère que je chérissais tant.

Logiquement, nous nous éloignâmes peu à peu l'un de l'autre, empruntant des chemins divergents, explorant d'autres mondes où l'autre ne pouvait avoir sa place.

C'était dans l'ordre des choses, c'était normal.

La boîte renfermant nos équipées enfantines disparut à son tour... nous avions perdu l'innocence qui nous permettait d'en retrouver la trace... elle n'était pourtant pas très loin, juste enfouie dans nos cœurs.

Mais nous avions trop grandi pour percevoir sa présence.