Exercice One

Par Philippe Di Folco
Bon, c'est la dernière fois...
Il est mort le 17 mai 1980 par pendaison. Dans sa tête, nous avons retrouvé les visages assassinés de George Jackson et de Baader. Dans nos têtes, tout près, leurs chants...
Assez sinistre, ces souvenirs gardent un charme jouissif comme seule la mort en possède.
Le 18 octobre 1977. Ian le Noir a vingt ans. Toi et tes trois amis, vous vous êtes nommés Warsaw pour la Peel Session. Depuis, le mur de la honte a cédé devant le mur du mépris.
« Rien A Foutre » : tel était le sens de votre action pour l’enfant et le singe que j’étais.
La panthère noire s’avance à travers les films, la musique, les vêtements, nourriture culturelle qui se fait mienne en ces années-là.
Dans la cage d’escalier de mon immeuble, David m’expliquait qu’Hendrix est mort le jour où Rien A Foutre taguait les murs de Francfort de leur sang.
Parce que tuer un enfant c’est le Mal absolu dis-tu et ces nazis qui nous gouvernent dis-tu mais cette télévision de mon temps qui offre une petite colombienne noyée en pâture aux spectateurs, qui la vengera qui la vengera cette enfant morte pour combler l’événement, l’ennui, le mortel vide laissé par l’invasion des objets non-érotiques ? Qui vengera cette exhibition atroce, qui relèvera la tête du sans domicile fixe qui me fixe de ses yeux crevés d’épuisement et de désir brûlé par l’alcool ? Il me parle dans ma tête et me dit aide-le et moi je me détourne oui qui le vengera ? Et l’impossibilité de se taire bien sûr et si j’avais la possibilité de parler à des millions de gens crois-tu que je modifierai la face horrible du monde ? Toi, ma chère Astrid, ma sœur, je me souviens de ton visage et je dis Ulrike tu manques à ce temps de tromperies.
Trois questions sont venues en leur temps : la tentation de la mort, de la violence et celle du cri. Réfléchir sur ces questions permet si l’on en réchappe de ne plus craindre de perdre la vie mais fascinants sont les puits, les gouffres ouverts. Ensuite il faut devenir un guerrier. Alors l’entraînement commence. Affronter les foules avec un micro c’est une sorte d’épreuve. Parler aux foules. Faire le bien. Toujours plus facile, c’est faire le mal. Le Mal absolu. Crier pour sa communauté menacée. Ils cherchent incidemment à nous exterminer. Tous. Nous sommes affamés, nos désirs sont tués, nos vies épuisées. Nous sommes déportés d’une terre vers une autre et l’on ne veut pas de nous. Ceux qui nous gouvernent ont du sang sur les mains. Ils marchent en ligne. Pas de cérémonie entre nous. L’âge de glace sur Paris. Les Bains le 10 janvier 1979. Ensuite le Komakino projette un film intitulé Désordres. C’est Olivier, celui qui travaille au Losange, qui m’avait enregistré une cassette des inédits de Warsaw. Le Sordide sentimental, le maxi Facus et les Factory y figuraient en bonus. Aucun label n’était oublié.
La transmission opérée à nos générations par les générations précédentes : voici venu le temps digital !
Cette fille, on a dit qu’elle perd tout contrôle de la situation et toi dans ta dernière lettre tu écris « I just can’t cope any more » (Et le Velvet raisonne dix ans auparavant « more more more »). Love & Death vous réunissent. L’amour nous consummera si ça continue. Dans cette interzone, je glisse à fond la caisse et Yann le Noir fait que je me souviens. Sais-tu que de leur prison les enfants de George Jackson appellent encore à la « la résistance » ? Sais-tu que ceux qui n’ont pas la couleur de peau adéquate ici-bas crèvent plus vite, plus pauvre, sans mémoire ? Les ombres jouent les âmes mortes. Dans l’incubation de nos échecs, je revois Astrid si belle, si longue et si sombre, habillé d’un costume trois pièce. Je revois le cou de Ian étiré. La balle dans le crâne fracassé de George Jackson. Gudrun, Andreas, Holger respirent encore mais ils n’ont pas mangé depuis l’éternité. La vue, je possédais aussi la vue, une sorte d’étoile, et au-dedans, je tentais de voir au-dedans de ces projets. Ces mouvements mène-t-ils à quelque chose ? A des plaisirs inconnus ? Plus près, encore, encore plus près ?
Nos échecs fuient la ligne d’exploitation des faibles et seule, la force du désordre, celle des colonies de vacances donnera un son à la musique de nos âmes et de nos cœurs par delà les infernales exhibitions de vos giratoires consummations. Notre plaisir d’être enfermés et vus par les yeux des morts, ce plaisir qui n’a pas de nom, pourrons-nous en supporter l’éclat dévastateur ? Les yeux de Ian le Noir sont les mêmes que ceux de Jan-Karl qui sont les mêmes que ceux de George Jackson – là-bas, tout au fond de la nuit.
Tu écrivis : « Je ne peux plus y arriver. » Tu étais épuisé mais moi, mon désir est de continuer cette lutte qu’hier vous amorciez.
« Ô ma grenade dégoupillée ! » dis-tu souvent en riant, mais tu ne te doutes comme le fil qui tisse ma vie sent le souffre et l’antimoine.
Qui brûlera de l’âme et du cœur ? De ce temps passé, j’ai tenté d’en saisir l’esprit mais, où donc a filé cet instinct de survie, ce désir, cet immense Désir qui compactaient nos forces en un tout tangible contre lequel se brisaient les forces négatives, séparatistes ? Où donc est passé l’amour qui nous liait ensemble afin que ploit sous nos élans le monstueux réel ?