C'était Piazza Bellini, toujours bondée, 22:30 ou un peu plus tard, je ne sais plus trop... le mardi 22 au soir, c'est ça, la veille du mariage... Kaplan et moi avions trop bu au 53 de ce vin pisseux pétillant et gouleyant, ça tanguait sous la porte d'Alba, et plus haut, on aurait presque remercié pour leurs présence massive les tiffosis gauchos armés de tuyauteries en plastique gris ("Mastrifs"). Sous les parasols (il fait nuit noire), on nous présente Catherine (?), une française, la cinquantaine, les yeux clairs. Visiblement, elle en est à son troisième gin-tonic (le comte Paolo adore cette boisson des années 1960, la grande Barbara préfère le coca nolightplease glaçons, Ulysse Michele le jus d'ananas, Roberto et Kaplan une Pironi : va pour la Pironi, mes baffii l'appelle). Catherine dit en tendant la main "je suis ici pour me reposer, loin de Paris, c'est plus du tout pour moi cette ville, elle est devenue odieuse, vous ne trouvez-pas ?" H. et Inès l'écoutent, l'air de rien (mais quand même, superconcernées), puis Catherine reprend, tragédienne, entre lentissimo et contracto : "Mais vous ne savez pas la nouvelle... il faut quand même le dire... oui... ce soir, c'est terrible, ce qui compte..., je... je suis bouleversée, il faut que vous sachiez : mon Alain Delon est mort !" Dominique n'en a rien à foutre, Jean-Yves non plus, Nathalie écoutait Roberto et Paolo commenter le dizionario, Inès rigole en douce, moi ouvertement, comme d'habitude, je commente la scène ("Mais on s'en tape d'Alain Delon, non ? allez, que ça nous empèche pas de boire !"), puis, avec le temps qui passe, elle me touche la mytho (?), elle me laisse un goût amer, la Pironi est sucrée pourtant, le Pedroni anisette aussi, les cheveux de ma poupette itou (noix de coco, crème vanillée, premières décoctions solaires, sels). 0:30, Catherine se calme, se lève, sa robe en lin, ses cheveux châtains tombant sur ses épaules, ses belles cernes, cette panique soudaine, elle s'en va, remonte vers la Sanita, elle lôge chez une amie entourée de fantômes de félins cinecittés, "elle est ici pour se reconstruire" affirme en conclusion Kaplan tout en dodelinant de la tête et d'ajouter "c'est dire..." (Inès : "C'est dur de perdre son chat !"). C'était donc ça ! Chat ! Un chat... Sur le chemin du Purgatorio, H. me dit : "Tu avais l'air de bien t'entendre avec Ulysse Michele... Il t'as invité dans sa grotte ? Il est pédé, tu le sais non ?" Je comprends pas ce "Tu le sais, non", je ne pense qu'à Delon est mort, Delon est mort.
Une semaine plus tard, ce soir donc, à Paris, en lisant Direct Soir tout en écoutant France Q, on se regarde tous :
- "Mais au fait, il est pas mort Alain Delon... c'était n'importe quoi à Bellini...
- C'est pas Nathalie Delon qu'elle a dit, l'autre dépressive ?
- Mais non, ça se serait su...
- Ce journal n'en parle pas : faut dire que y'a pas grand chose dans Direct, à part une double sur Nutella non signée qui ressemble à du publireportage localisé pour un public français easyreading... Putain, les ritals, t'as vu, en 1946 ils se lancent dans le bize, le pays est ruiné, j'adore ces gens, Kinder, Tic Tac, regarde, rien ne les ar...
- Chut... T'as entendu, Hèlène Frappat sort un truc chez Allia...
- C'est la fille de Bruno ? Encore une fille de, y'en a mar...
- Chut... elle parle des féministes, du MLF, de Gôdââârt... Je veux écouter, merci.
On vieillira bien, dis ? Tu me feras piquer si je perds la boule ? Ou tu m'offriras des séjours thermaux à Sila ? J'suis toujours ton chat ? Tu crois que mes romans c'est de la merde ? Tu veux une tisane ? Du chocolat ? Du Nutella ? Ok, ok, j'me tais.
Je comprends mieux Ulysse : Pénélope elle devait être super chiante parfois mais au moins, elle lui a donné le cap.