Parachutes dorés, moralisation du capitalisme, bonus dans les entreprises, suppression des stock-options : pas une semaine ne passe actuellement sans que le monde de l’entreprise ne soit mis en cause directement par les responsables politiques. La presse nationale a rejoint la mêlée, s’engageant dans une chasse aux sorcières, dénonçant dès qu’elle peut les agissements de certains groupes. Les coupables semblent cernés et la violence des attaques atteint parfois des sommets. Comment en est-on arrivé là ? Et quelle image ont réellement les Français du monde des entreprises ?
Le monde des entreprises : des affaires qui font parler les Français
Alors que les accusations liées aux rémunérations des patrons et de certains salariés se sont multipliées ces derniers jours, le baromètre Ifop Paris Match des conversations des Français montre que les scandales qui éclaboussent la vie des entreprises sont de véritables sujets de conversation pour les Français. Sans qu’il existe un lien formel entre ces événements et les sociétés dans leur ensemble, c’est à partir de ces discussions qu’évoluent les perceptions de nos concitoyens à l’égard du monde de l’entreprise. Et à ces affaires s’ajoutent la crainte de licenciements qui alimentent des jugements négatifs à l’égard des entreprises.
Les affaires qui ont marqué les conversations des Français
Mai 2005
Le montant des indemnités de départ de Daniel Bernard, l’ancien Président de Carrefour
58
Octobre 2005
L’annonce par Hewlett-Packard de la suppression de 1240 postes en France
61
Mars 2006
La condamnation d’une entreprise ayant rompu un contrat nouvelle embauche sans justification
35
Février 2008
La condamnation de Total dans le procès de l’Erika
47
Avril 2008
La fermeture partielle du site ARCELOR de Gandrange en Lorraine
36
Octobre 2008
Le débat autour des parachutes dorés de certains grands patrons
49
Les discussions des Français au sujet des licenciements
Décembre 2007
Les délocalisations d’entreprises dues à l’euro
35
Novembre 2008
L’annonce de plans sociaux dans les entreprises
58
Février 2009
L’annonce de plans sociaux dans les entreprises
55
Mars 2009
L’annonce de plans sociaux dans les entreprises
54
La responsabilité globale du système capitaliste…
Quelques mois après l’éclatement de la crise financière et économique, on pourrait croire, à la lumière des craintes des Français et en entendant certains responsables politiques, que, aux yeux de l’opinion publique, la crise est directement imputable aux entreprises, et notamment aux plus grandes d’entre elles. Pourtant les Français ne semblent pas les inculper directement. En effet, à en croire les résultats du sondage TNS Sofres sur les perceptions de nos concitoyens à l’égard de la crise, seules 18% des personnes interrogées considèrent que les grandes entreprises portent la principale responsabilité dans la crise, loin derrière les banques (58%) et les dirigeants politiques (41%). Un sondage réalisé par l’institut CSA au mois d’octobre ajoute un enseignement intéressant : si les Français n’oublient pas le rôle des établissements bancaires, des gouvernements et des dirigeants de sociétés dans la crise financière, c’est le système capitaliste dans son ensemble qui est pointé du doigt par 77% des personnes interrogées. Ainsi, à la lecture de ces deux sondages, il apparait que les Français émettent un jugement mesuré vis-à-vis des entreprises, personnage secondaire de la crise qui s’abat, mais néanmoins bras armé d’une idéologie capitaliste qu’ils veulent voir changer.
… n’empêche pas un souhait d’encadrement des entreprises
Les Français dans leur grande majorité souhaitent la mise en place de mesures visant à encadrer les pratiques des entreprises, notamment en ce qui concerne les rémunérations et les licenciements. D’après la vague de février 2009 du baromètre BVA Les Echos sur la politique économique, les Français considèrent que des mesures de régulation auraient un impact positif sur la situation actuelle. Au sujet de la rémunération du capital et des employés, il faut ainsi, d’après eux, rééquilibrer la répartition des bénéfices entre les patrons, les actionnaires et les salariés (69% de jugements positifs), plafonner la rémunération des actionnaires dans les entreprises qui reçoivent des aides publiques suite à la crise (53%), plafonner la rémunération des traders (51%). En matière d’emplois, le besoin d’encadrement se fait également ressentir, et ils se montrent majoritairement favorable aux mesures proposées : bien contrôler que les entreprises ne profitent pas de la crise pour licencier sans raison sérieuse (69%), exiger des entreprises qui reçoivent des aides publiques qu’elles ne délocalisent pas leur site de production (69%) et interdire aux entreprises de l’industrie automobile qui reçoivent des aides publiques de licencier (54%).
L’adhésion majoritaire à ces mesures souligne la volonté des citoyens d’un contrôle de l’entreprise par l’Etat.
Un élément est par ailleurs frappant dans ce sondage : les propositions faites par l’institut BVA montrent une image tronquée de l’entreprise et la résument à trois actions : rémunérer les patrons, les actionnaires et les salariés, licencier ou délocaliser et recevoir des aides publiques. Le résultat, peut-être, d’une image négative des entreprises dans les médias : en 2006, 53% des salariés interrogés par l’Ifop affirmaient que les médias insistaient plus sur les aspects négatifs de l’entreprise que sur les côtés positifs.
Une crise qui affecte particulièrement l’image des banques, du secteur automobile et de la grande distribution…
Aux yeux de nos concitoyens, certaines entreprises semblent plus coupables que les autres.
Premières coupables, les banques ont subi les foudres de l’opinion depuis l’éclatement de la crise financière. Jugées principales responsables de la crise dans le sondage TNS Sofres, elles connaissent aujourd’hui une forte dépréciation de leur image, comme en témoigne le baromètre d’image des grandes entreprises Ipsos - Posternak-Margerit. Principales victimes de la défiance généralisée, elles subissent des baisses moyennes de 20 points d’image positive, avec notamment -31 points pour BNP Paribas, -15 points pour LCL, -22 points pour la Société Générale ou -14 points pour le Crédit Agricole.
Les entreprises du secteur automobile, qui ont été bénéficié d’aides conséquentes de la part de l’Etat, sont également maltraitées par les Français. Pourtant habituées aux premières places de ce classement, Citroën perd 28 points d’image positive et Peugeot 24 points. A l’inverse Renault dont l’image avait été très fortement écornée par les problèmes sociaux lors des vagues précédentes de ce baromètre (fermeture de Sandouville, suicides dans des usines) voit sa cote remonter mais reste classée parmi les mauvais élèves de ce classement (+10 points).
Enfin, autre secteur fortement touché par cette crise d’image, la grande distribution, jusque là épargnée par le jugement des Français, subit un revers conséquent : Intermarché et Carrefour perdent 11 points d’image et Auchan 10 points. Leclerc est à l’inverse relativement épargné puisque la cote d’image du distributeur fortement engagé dans la lutte contre la baisse du pouvoir d’achat ne se tasse que 3 points.
… et renforce l’attachement aux entreprises apparentées au service public
Dans ce contexte très difficile pour les entreprises (sur les trente entreprises testées, vingt-quatre voient leur image se déprécier), les grandes entreprises publiques ou assimilées, sont presque les seules à tirer leur épingle du jeu. Les Français montrent ainsi leur attachement au service public et à l’intervention de l’Etat dans la vie économique. EDF trône ainsi en tête du classement, avec une hausse de 3 points se cote d’image et celle de La Poste grimpe de 11 points et lui permet d’intégrer le top 10 des entreprises préférées des Français. En revanche, la SNCF, dont l’actualité a été marquée par des difficultés techniques et sociales, perd 5 points et reste dans le peloton de queue des entreprises testées.
Globalement il n’en reste pas moins que le climat actuel de suspicion et de méfiance qu’entretiennent les politiques et les médias à l’égard des entreprises, et surtout des grandes entreprises, ne semble pas trouver écho directement dans l’opinion publique. Quelques signes montrent néanmoins une situation de vigilance accrue de la part des Français. Une vigilance qui, alimentée par les scandales et la peur des plans sociaux, pourrait faire évoluer l’opinion publique vers un divorce plus marqué avec les entreprises, qu’elles soient françaises ou étrangères, grandes ou petites, éclaboussées ou épargnées par les scandales…