Anthologie permanente : William Cliff

Par Florence Trocmé

24.
ce lit me tue et l’amant qui s’y trouve
aussi ce lit chevalet d’insomnie
sous la lucarne d’une lune rouge
me roule avec toi dans une infinie
lenteur Conrad ta vie n’est pas finie
puisque depuis un mois tu vis en moi
je te vois marcher j’entends les crachats
que tu soutirais du fond de ta gorge
pour les cacher au pli d’un vieux mouchoir
qui retournait se tasser dans ta poche

25.
« tu vis en moi » c’est si facile à dire !
as-tu conscience que tu vis en moi ?
aucune vie en moi ne pourrait vivre
sans me venir d’un en-dehors de moi
aujourd’hui la neige est tombée cela
me rappelle ma vie adolescente
âge divin et très dur et très tendre
où je cherchais dans la forêt l’endroit
sans neige d’un sapin pour m’y étendre
sous sa ramure et de ce cercle étroit

26.
laissé sur le sol à l’abri des neiges
je rêvais en écoutant les bruits sourds
qui montent d’un pays pris dans le piège
de la blancheur tombée sur les labours
je sentais le froid peu à peu engour-
dir mon corps étendu et l’avenir
semblait si loin qu’il n’aurait dû venir
que dans un siècle entièrement nouveau
je vivais hors du temps la rêverie
seule éclairait le cours de mes travaux

*

10.
à mon retour d’Amérique tu vis
venir à mes tempes des mèches blanches
« William tu n’as guère changé » me dis-
tu « sauf ces mèches blanches sur tes tempes »
mon voyage au-delà de l’écumante
mer Atlantique à rechercher ta trace
fut-il tant éprouvant ? ça me tracasse
très peu cette blancheur de mes cheveux
qu’elle soit blanche ou noire ma tignasse
m’importe peu car c’est Toi que je veux

William Cliff, Autobiographie, suivi de Conrad Detrez, coll. La petite vermillon, La Table Ronde, 2009, p. 194 et 210. 8,50 €.
24, 25 et 26 sont extraits du ″Chant III″ et 10 de ″Envoi″ de Conrad Detrez.

Contribution d’Ariane Dreyfus