Entretien avec Guillermo Hillcoat, maître de conférences à l'université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et spécialiste de l’Amérique Latine. Propos recueillis par Nadya Masidlover, étudiante au Master Informations et journalisme économique de l’Université Panthéon Sorbonne.
Economie et société : Champion des coups d’état en Amérique Latine, quelle est l’origine de l’instabilité sociopolitique de la Bolivie ?
Guillermo Hillcoat : La Bolivie souffre d’une fracture sociale et ethnique profonde qui n’a jamais été dépassée. La population est composée à 85% d’amérindiens et le pays ne s’est jamais remis de la colonisation qui a cassé la dynamique locale existante. Après trois siècles de colonisation et deux siècles d’indépendance, cette population indigène n’a pas réellement accédé au pouvoir jusqu’à l’élection Evo Morales, le président actuel.
E. S : Quel est la marge de manœuvre du président Morales pour ramener la Bolivie vers de nouveaux horizons ?
G. H : Morales est arrivé avec une légitimité très forte. Après une crise aigue en 2005, il est arrivé au pouvoir avec 50 % des votes. Aucun parti politique avant celui de Morales a réussi à récolter plus de 20 % des voix. Dès son arrivée au pouvoir, Morales a renégocié les contrats d’exploitation des ressources naturels avec les entreprises étrangères implantées en Bolivie pour augmenter les revenus fiscaux. Ceci lui a donné un levier pour mettre en œuvre son programme politique.
Mais la Bolivie reste la Bolivie : un pays traditionnellement dépendant de ressources naturelles avec des finances qui restent fragiles et surtout une gouvernance difficile. Il existe aussi un risque de problèmes diplomatiques car les relations entre Morales et les Etats Unis ont déjà conduit au non-renouvèlement de l’accord de commerce préférentiel entre les deux pays.
E. S : La quasi-totalité des exportations boliviennes sont composées de matières premières. Quels sont les risques d’une telle dépendance pour l’économie bolivienne ?
G. H : C’est un problème, non seulement pour le gouvernement de Morales, mais pour les gouvernements de tous les pays qui détiennent des ressources naturelles. Mais c’est aussi une chance, encore faut-il qu’une partie de ces revenus soit contenue dans un fond intergénérationnel pour éviter que la monnaie nationale s’apprécie, ce qui découragerait les autres activités commerciales. La diversification reste essentielle pour protéger le pays contre des chocs externes tels qu’une baisse du prix de gaz.
Pour en savoir plus sur le sujet, lisez également « Bolivie : la future Arabie Saoudite du lithium ? ».