L'Institut Constant de Rebecque ( ici ) a publié hier une nouvelle étude sur le
secret bancaire( ici ).
Les "réflexions sur l'avenir du secret bancaire", objet de cette étude, sont celles d'un avocat, Thierry Afschrift ( ici ), qui enseigne le droit fiscal en Belgique.
Le point de vue deThierry Afschrift (photo ci-contre parue sur Swissinfo ici ), sur le
secret bancaire, est celui d'un juriste et non pas d'un économiste. A deux jours du sommet du G20 qui va se pencher sur la question à Londres, ces réflexions apportent un éclairage
supplémentaire en faveur du secret bancaire et sont une nouvelle démonstration de la pertinence de Frédéric Bastiat, qui disait :
"Il y a ce qu'on voit et il y a ce qu'on ne voit pas."
Le motif avoué initial des Etats pour justifier leur lutte contre le secret bancaire était la lutte contre le blanchiment d'argent de la drogue et contre le terrorisme. Ce motif
a été étendu progressivement, et insidieusement, à d'autres infractions et, notamment, à "certains actes relevant de la fraude fiscale". C'est ce que l'on
voit et que les Etats veulent que nous voyions. Les Etats apparaissent ainsi en redresseurs de torts, en chevaliers blancs, parés de toutes les vertus morales.
Le résultat de la délation obligatoire à laquelle cette lutte conduit est paradoxal. L'expérience montre que peu de trafiquants sont condamnés, mais que la justice s'acharne surtout sur des
contribuables, pour des montants parfois modestes. Le marteau-pilon pour écraser la mouche.
En réalité, ce qu'on ne voit pas, mais que souligne Thierry Afschrift, c'est que :
"Les Etats, qui se sont attribués de plus en plus de compétences mais aussi de pouvoirs, cherchent chaque jour davantage à se doter de l'arme la plus expédiente pour
les exercer effectivement : l'accès à l'information."
Or le secret bancaire, comme tout secret professionnel, est un obstacle à cet accès à l'information. Il faut donc le lever pour rendre plus efficaces les administrations
des Etats, ce qui est plus important aux yeux de ces derniers que les droits de l'homme les plus sacrés.
Dans le même esprit :
"Les "enfers fiscaux" font valoir ce qu'ils appellent "la juste perception de l'impôt", et y voient une notion plus importante que la défense de la sphère
privée."
En France, hier, l'absolutisme de l'Ancien Régime - qui a d'ailleurs causé sa perte - a été combattu à juste titre. Aujourd'hui, les Etats sont en train d'en
instaurer un, autrement redoutable, avec des moyens autrement efficaces.
Dans les pays développés la transparence est en principe un moyen de permettre aux citoyens "d'exercer
un contrôle sur l'Etat, à qui la loi attribue des pouvoirs et qui utilise, via l'impôt, les biens de tous [...]. Rien ne justifie en revanche que l'on renverse l'argument en prétendant
qu'il appartiendrait aux individus d'être "transparents" à l'égard du pouvoir."
C'est pourtant ce que les Etats font de plus en plus :
"C'est agir comme si l'Etat avait un droit de regard sur l'usage que les citoyens font de leurs biens, comme si a priori, et comme
c'était le cas sous les régimes communistes, tout appartenait à l'Etat, qui consentait ensuite aux citoyens la propriété de certains biens - pour autant qu'ils puissent justifier de leur
usage."
Il ne faut pas croire que cette transparence dévoyée ne s'exerce qu'en matière fiscale. Les atteintes à la sphère privée se développent de plus en plus, pour
votre plus grand bien, sachez-le : la présence toujours plus grande de caméras dans les rues, l'augmentation des effectifs policiers et des contrôleurs de l'Etat de tout acabit, la
conservation des données privées par les opérateurs téléphoniques et par les fournisseurs d'accès à Internet etc. Il ne s'agit là, ni plus ni moins, que "d'une même conception totalitaire du rôle du pouvoir sur les citoyens".
Revenons sur "la juste perception de l'impôt" que les "enfers fiscaux" mettent en avant pour justifier leurs
inquisitions.
Est-il normal pour un Etat de s'incliner devant l'idéologie absolutiste - d'un autre Etat - qui consiste à "utiliser sa souveraineté pour imposer à ses résidents un
lourd système d'imposition" ? La réponse est non.
Les Etats doivent-ils traiter différemment leurs propres citoyens et les étrangers ? La réponse est encore non, ce serait déloyal :
"Si un pays considère, pour ses propres citoyens, qu'il n'y a rien d'abusif à faire prévaloir leur sphère privée sur ses propres intérêts fiscaux, il doit aussi
pouvoir tenir le même raisonnement pour les étrangers qui veulent bien confier leur épargne à ses banques".
Thierry Afschrift s'interroge également " sur l'étrange conception de la "justice fiscale " et même de la "justice" qui aboutit à ce que, a priori, il serait
plus juste, pour un Etat de s'approprier près de la moitié des revenus de ses citoyens, plutôt que de les laisser disposer dans une mesure beaucoup plus grande de leur propre
patrimoine."
Les Etats que j'appelle les mauvais élèves de l'économie, c'est-à-dire ceux dont les régimes fiscaux sont les plus lourds, fixent en réalité leurs impôts non pas en fonction de
l'équité mais en fonction "des intérêts de groupes sociaux qui y contrôlent le pouvoir, ou ceux du Pouvoir lui-même." Rien d'étonnant à ce qu'ils
souhaitent que les autres Etats suivent leur mauvais exemple. Ils veulent éliminer toute concurrence fiscale qui les obligerait à diminuer les impôts, donc leur pouvoir :
"En l'absence de concurrence, les prix montent, et ceci vaut bien sûr aussi pour les taux d'impôt".
C'est d'ailleurs "ceux qui ont toujours déclaré correctement leurs revenus" qui vont subir de plein fouet les effets en retour de
l'absence de concurrence fiscale et de la suppression du secret bancaire :
"Lorsque la fraude diminue, cela permet aux dépenses de l'Etat d'augmenter, mais cela n'entraîne jamais une réduction des taux sur les revenus connus. Au
contraire, toute meilleure connaissance des revenus pousse nécessairement les Etats à majorer l'impôt qui les frappe."
Les pouvoirs des Etats deviennent de plus en plus forts "en raison de l'intrusion permanente, systématique, et omniprésente, des autorités dans toutes les activités de
leurs habitants. Cela se traduit, sur le plan fiscal, par des prélèvements obligatoires qui frisent les 50%, alors même qu'on prétend que les régimes occidentaux auraient été trop "libéraux" et que
la charge fiscale aurait diminué". De qui se moque-t-on ? Des citoyens justement.
Quand j'étais petit mes parents, mes maîtres d'école, mes professeurs disaient tous qu'il était vilain de dénoncer son voisin. La délation obligatoire et organisée est la marque des pays
totalitaires. Or c'est cette délation obligatoire qui est aujourd'hui devenue morale par un coup de baguette étatique :
"Dans la lutte contre les paradis fiscaux que l'on connaît actuellement, non seulement les Etats s'arrogent le droit d'obliger des organismes privés à travailler pour
leurs intérêts, mais ils exigent même que des entités privées établies à l'étranger, en dehors de leur souveraineté, et d'autres Etats, participent à une véritable opération de délation
organisée".
A la lecture de cette étude, qu'il faut absolument lire, relire, et méditer, l'enjeu de la bataille pour le secret bancaire apparaît donc clairement : ce sont les libertés
fondamentales qui sont menacées. Il faudrait que les citoyens des pays occidentaux en prennent conscience et qu'ils ne se laissent pas embobiner par les discours faussement
moralisateurs de leurs dirigeants.
Francis Richard
L'internaute peut écouter sur le site de Radio Silence (ici) mon émission sur le même thème.