Gouvernance municipale dans le Grand Nouméa (4) : coordonner transport et urbanisme, un défi à la lumière de la Suisse alémanique

Publié le 30 mars 2009 par Servefa

Depuis quelques mois maintenant je me fends d'indignation sur les incohérences propres à l'urbanisation du Grand Nouméa tout en brandissant avec enthousiasme les oriflammes des solutions à adopter pour de meilleurs lendemains. Une telle attitude présente de nombreuses limites et je me devais bien, un jour, d'entrer, enfin, dans le vif du sujet, c'est à dire de passer de l'idée à l'opérationnalisation, de la conception à la mise en oeuvre. Car le vrai défi se situe ici. Aussi, si j'agite souvent la nécessaire coordination entre transports et urbanisme je me garde bien jusque là de décrire les moyens pratiques pour y parvenir.

Aujourd'hui, je vais m'y essayer à la lumière de l'exemple de la capitale hélvétique, Berne. En effet, cette dernière parvient à des résultats tout à fait encourageants dans le domaine de la lutte contre la dépendance à l'égard de l'automobile, notamment par une politique de coordination entre transports et urbanisme des plus efficaces. Certes, le Grand Nouméa doit trouver en la matière une solution qui lui est propre, mais il me semble intéressant de s'inspirer du cas suisse.

Tout d’abord, remarquons que la ville de Berne présente une structure de gouvernance à multi-niveaux plutôt fragmentée . En effet, le Canton de Berne constitue une autorité dépassant largement le cadre de la Région Urbaine, il ne peut donc en aucun cas constituer un échelon métropolitain. Par ailleurs, aucun échelon de gouvernance métropolitaine n’existe véritablement mais de nombreuses passerelles de collaboration et de coordination sont mises en œuvre. Ainsi, à une logique de gouvernement métropolitain, le canton de Berne privilégie-t-il une gouvernance régionale en incitant une véritable politique d’agglomération. La Constitution du 6 juin 1993 du canton de Berne stipule la possibilité de créer des «organisations régionales pour accomplir des tâches particulières» afin de favoriser la « mise en œuvre de la stratégie en faveur des agglomérations et de la coopération régionale ». Cet article vient renforcer l’esprit de la loi sur les communes de 1973 qui pose obligation d’association entre les communes pour exécuter les tâches régionales. Ainsi, la coordination entre les différents acteurs institutionnels et les différents services est-elle institutionnalisée, notamment à travers la commission cantonale de coordination « conférence de coordination espace/transports/économie ». Par ailleurs, un dispositif de collaboration horizontal associant le canton a été créé avec le Verein Region Bern (VRB) permet aux 47 communes de la région urbaine d’avoir une vision d’ensemble et concerté des enjeux de la planification (Kaufmann et al., 2003 : 62).

Cet ensemble de structures constitue donc une fragmentation municipale importante qui, en théorie, devrait faire obstacle à l’exercice délicat de la planification exigé par la lutte contre la dépendance à l’automobile. Pourtant l’agglomération bernoise a obtenu dans cette dernière des résultats probants (à peine 43% des déplacements dans l'agglomération sont réalisés en voiture - 80% du territoire de l'agglomération est desservie par les transports publics). Tout d’abord, et nous l’avons vu, par l’obligation légale de la coordination entre services et institutions. Mais aussi par les orientations offertes par le canton de Berne, notamment à travers ses nombreux rapports, qui recommandent, dès 1991, de ne plus séparer aménagement du  territoire et politiques de transport. Enfin, des commissions ad hoc, par projet, sont créées afin de développer les principaux dossiers d’aménagement. « L’existence de commissions ad hoc favorise le passage d’une approche intersectorielle de la problématique urbanisme-transport à une approche intégrée car transversale (…) la présence d’acteurs aux multiples ressources chamboule le jeu des coalitions habituelles et permet d’échapper à l’architecture institutionnelle des départements, en les situant à l’extérieur du champ des jeux de pouvoirs propres aux administrations » (Kaufmann et al., 2003 : 105).

Par ailleurs, l’architecture institutionnelle bernoise dispose d’un autre atout de taille lui ayant permis d’offrir une culture à ses habitants, et à ses professionnels, en accord avec la lutte contre la dépendance à l’automobile. En effet, des villes comme Lausanne ou Genève ont aussi fait de nombreux efforts de coordination sans parvenir à l’excellence des résultats bernois. Cela peut s’expliquer par le développement plus important des outils de démocratie semi-directe en vigueur dans les cantons de la Suisse alémanique. En effet, « dans un contexte où la conscience écologique est très développée, plus la démocratie directe est forte, plus on tient compte des thèmes environnementaux » (Kaufmann et al., 2003 : 68). Ainsi, en 1970, les bernois ont-ils refusé, par une votation, le projet de décongestionnement du centre-ville qui prévoyait le démantèlement des transports publics et la construction d’autoroutes. Cette culture démocratique a aussi poussé à la coordination des institutions avant son imposition par des lois fédérales. Cet ensemble a permis la création d’une culture des transports collectifs et de la coordination propre à favoriser les propositions de planification œuvrant à la lutte de la dépendance à l’égard de l’automobile, alors que des villes comme Genève et Lausanne, qui ont démantelé leurs transports publics urbains (au bénéfice de l’automobile) et qui ont attendu les lois fédérales imposant une coordination entre transports et urbanisme ne disposent pas d’une telle culture, ce qui nuit à l’efficacité de leur coordination peu portée par une volonté politique mal instaurée, dans un contexte de démocratie participative moins active.

Par ailleurs, la gestion de projet à Berne concourt à mettre en œuvre les effets positifs de la démocratie participative dans une première phase ouverte qui porte le débat public quant à l’opportunité de réaliser un projet. Cette première phase constitue la prise de décision politique et se conclut par une votation. Ainsi, la deuxième phase, d’opérationnalisation, peut prendre forme en réseaux fermés ne comprenant que les acteurs impliqués financièrement en s’appuyant sur la légitimité de la votation ayant clôt la première phase. Il est apparu que cette démarche, généralement appliquée à Berne, permet d’entrer dans une logique d’action bien meilleure que dans le cas où la phase d’opérationnalisation est aussi ouverte, au détriment de l'action du fait de l’établissement de nombreux rapports de force politique, la logique de projet étant ainsi dépassée.

Pour conclure cette illustration de la gouvernance des transports à Berne, nous voyons qu’au delà de l’influence des structures de gouvernance, telles qu’elles ont été expliqué préalablement, et tel que cela est généralement présenté (une gouvernance métropolitaine en tant que préalable à une politique de mobilité durable), la coordination des acteurs et l’influence de la démocratie locale sont aussi des facteurs essentiels puisqu’ils permettent la tenue d’une politique de lutte contre la dépendance à l’automobile en dépit d’une grande fragmentation politique. Ainsi l’architecture institutionnelle influence grandement la réussite des politiques publiques de développement durable, non tant par sa forme macroscopique (gouvernement métropolitain que d’aucuns appellent ville-Gargantua), que par ses mécanismes de coordination et d’appel à la démocratie participative. Par ailleurs, il est à noter l’influence déterminante des lois et orientations des gouvernements supérieurs. Mais cette dernière influence ne saurait demeurer suffisante face à la culture des élus, des citoyens et des professionnels : la dépendance au chemin (path dependancy), et la conscience écologique d’une population dont la voix compte dans les processus de planification demeurent les meilleures garanties de réussite d’une politique de lutte contre la dépendance à l’égard de l’automobile.

Cela ne manque pas de m'interroger. Dans le Grand Nouméa, plutôt que la construction d'une coquille-vide de type Syndicat Intercommunal, au regard du peu d'acteurs en jeu, et du fait du manque de compétences propre au territoire, pourquoi ne pas développer la coordination et la concertation sur la base de commissions sur le modèle suisse. Par ailleurs, de même que les Cantons en Suisse proposent des plans directeurs, élaborés en concertation avec les communes, et soumis à l'approbation et au débat public des citoyens, pourquoi ne pas imaginer ce rôle pour la Province Sud ?

Et vous, vous en pensez quoi ?

François

Source: Kaufmann, Sager, Ferrari et Joye : Coordonner transports et urbanisme - Presses polytechniques et universitaires romandes, 2003.