La Cour européenne des droits de l’homme, en formation de Grande Chambre, a été saisie de la célèbre affaire “Léger”, du nom de celui qui fut connu comme “le plus ancien détenu de France”. Cet homme, condamné à perpétuité pour l’enlèvement et le meurtre en 1964 d’un garçon de onze ans, fut détenu pendant quarante et un ans. Après les multiples refus opposés à ses demandes de libération conditionnelle depuis 1979, il l’obtint enfin cette libération en 2005. Lucien Léger avait saisi la Cour en estimant que cette longue détention violait son droit à la liberté et à la sûreté (Art. 5) et constituait un traitement inhumain et dégradant (Art. 3). La Cour avait rejeté ses prétentions en formation de chambre (Léger c. France, 2e sect. 11 avril 2006, req. n° 19324/02) mais son recours devant la Grande Chambre avait été accepté par le collège de cinq juges (Art. 43 § 2).
En définitive, la Cour a mis fin à la procédure intentée contre la France par Lucien Léger, en raison du décès de l’intéressé et de celui son avocat, Me Jean-Jacques de Felice à qui nous rendons hommage.
Leger c. France (Cour EDH, Grande Chambre, 30 mars 2009, req. n° 19324/02)
Actualité Droits-libertés du 30 mars 2009 par Nicolas Hervieu
En effet, la Cour décide dans son arrêt de Grande Chambre de radier la requête de son rôle suite au décès du requérant en juillet 2008.
La Cour juge « que la demande de poursuite de la procédure est présentée par une personne ne justifiant ni de sa qualité d’héritière ou de parent proche, ni de l’existence d’un intérêt légitime » (§ 50). Surtout, les juges européens refusent d’utiliser l’article 37 § 2 (Radiation) en jugeant que « le respect des droits de l’homme n’exige pas la poursuite de l’examen de la requête » (§ 51). En effet, ils estiment, sans précisions, que « la législation pertinente [a] été modifiée » en France concernant la libération conditionnelle des condamnés à la perpétuité et que « des questions similaires [ont] été résolues dans d’autres affaires portées devant elle » (§ 51).
A l’appui de ce dernier point, la Cour évoque notamment l’arrêt Kafkaris c. Chypre où elle avait distingué entre une “peine d’emprisonnement perpétuelle” et “une peine perpétuelle incompressible”, seule cette dernière pouvant « soulever une question sous l’angle de l’article 3 » (Cour EDH, Grde. Ch. req. n° 21906/04 - § 97).
Pourtant, comme le souligne l’opinion dissidente des juges Spielmann, Bratza, Gyulumyan et Jebens (§ 8 ), la Grande Chambre avait ici l’occasion de préciser si une telle peine incompressible est en soi incompatible avec l’article 3. On peut effectivement regretter que la Cour n’ait pas saisi une telle occasion - rare au regard du caractère exceptionnel des faits de l’espèce -, tout en voyant dans ce choix le signe de la grande prudence strasbourgeoise face cette délicate question.
Leger c. France (Cour EDH, Grande Chambre, 30 mars 2009, req. n° 19324/02)
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Arrêts de Grande Chambre
30/03/2009
La Cour a décidé de rayer du rôle l’affaire Léger c. France M. Léger alléguait que son maintien en détention pendant plus de 41 ans avait revêtu un caractère arbitraire et s’analysait en un traitement inhumain et dégradant. Communiqué de presse
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Extrait de la décision (en hommage à Me J-J. De Felice, combattant des droits de l’homme)
“Ont comparu :
a. pour le Gouvernement
Mme A.-F. Tissier, sous-directrice des droits de l’homme à la Direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, agent,
Mme M. Mongin-Heuzé, magistrat détaché auprès de la sous-direction des droits de l’homme du ministère des Affaires étrangères,
M. R. Dubant, chef du bureau de l’exécution des peines et des grâces du ministère de la Justice,
Mme A. Salisse, rédactrice au bureau de l’action juridique et du droit pénitentiaire de la direction des affaires pénitentiaires du ministère de la Justice,
Mme M.-A. Recher, rédactrice au service des affaires européennes et internationales au ministère de la Justice, conseillers ;
b. pour le requérant
Me J.-J. de Felice, avocat au barreau de Paris, conseil,
M. H. de Suremain, juriste à la section française de l’Observatoire International des Prisons,
Mme B. Belda, enseignante à l’Université Montpellier I, conseillers.
“45. En l’espèce, le requérant a été retrouvé mort le 18 juillet 2008 à son domicile, ce dont la Cour a été informée par les médias et non par le représentant du requérant, Me de Felice, ce dernier étant lui-même décédé le 27 juillet 2008.
46. Le 11 août 2008, Me I. Terrel a déclaré se substituer à Me de Felice, sans toutefois fournir un pouvoir de représentation établi à son nom. Par une lettre du 12 août 2008, le greffe l’a invitée à indiquer si des héritiers s’étaient fait connaître et, dans l’affirmative, s’ils avaient exprimé le souhait de poursuivre la procédure, tout en l’invitant dans ce cas à produire un pouvoir de représentation établi à son nom.
47. Le 8 septembre 2008, Me Terrel a fourni un mandat établi à son nom par Mme Viviane Hirardin, née Derveaux, présentée comme étant la nièce du requérant et la seule héritière qui se soit manifestée suite au décès de celui-ci.”
Sur Lucien Léger
- sur wikipédia
- Pas d’arrêt posthume à Strasbourg pour Lucien Léger , Par Reuters, publié le 30/03/2009 La Cour européenne des droits de l’homme a mis fin à la procédure judiciaire intentée contre la France par Lucien Léger, qui fut le “plus vieux prisonnier de France”, en raison du décès de l’intéressé et de celui son avocat, Me Jean-Jacques de Felice. (Reuters)
Sur Me Jean-Jacques de Felice
- sur wikipédia
- v Liora Israël, “Deux parcours d’avocats”, Plein droit (revue du Gisti) n°53/54, mars 2002,
- Jean-Jacques de Felice, avocat et militant des droits de l’homme est mort, Le Monde, 28 juillet 2008 par P. Robert-Diard
- Jean-Jacques de Félice, la sagesse par l’action, Rue 89, 30 juillet 2008 par Julien Cantegreil