En cette fraîche soirée d’hiver, ils sont des millions d’Américains, suspendus à leur poste de télévision, à prier pour un miracle. Auquel personne ne croit. Auquel tout le monde, pourtant, a envie de croire. Vietnam, Watergate, Téhéran, inflation, chômage… Des noms qui résonnent comme une angoisse incandescente au pays de l’Oncle Sam. Au début des années 1980, la bannière étoilée est en berne : les revers successifs subis par le pays sur la scène internationale ont affecté la population au plus haut point, et mis à mal le patriotisme hyperbolique de la nation entière. La guerre froide entre dans une phase nouvelle, caractérisée par un regain des tensions aux quatre coins de la planète. L’ambassade américaine est prise en otage en Iran, l’Union Soviétique vient d’envahir l’Afghanistan, et les Jeux de Moscou sont sur le grill.
Ce 22 février 1980, c’est ainsi tout un pays qui s’unit derrière ses boys, ces hockeyeurs encore amateurs, qui s’apprêtent à défier l’ogre soviétique sur la glace de Lake Placid. Plus qu’une banale rencontre de hockey, c’est la fierté, l’orgueil, l’honneur des Etats-Unis qui est en jeu dans cet affrontement au sommet. Pourtant, leurs chances de remporter cette bataille sont dérisoires, voire inexistantes. C’est pourquoi, ils espèrent tous, en secret… un miracle.
Le Goliath soviétique
- L’équipe soviétique après sa victoire face aux All-Stars NHL en 1979
Du 13 au 24 février 1980 doivent se tenir à Lake Placid, station située dans les Appalaches, les XIIIème Jeux olympiques d’hiver. Au cœur du conflit glacé, l’opposition entre les nations de l’Est et leurs hôtes américains, est attendue comme un test grandeur nature par les superpuissances, qui ambitionnent d’étendre leur supériorité idéologique sur le terrain sportif. Le tournoi de hockey sur glace, épreuve phare de la compétition, semble cependant, dès le départ, dévolu aux Soviétiques. En effet, depuis 1972 et une certaine série du siècle, plus personne outre-Atlantique n’ose remette en cause le talent et le savoir-faire de l’armada rouge, qui, telle une tornade, balaie tous ses opposants dans les diverses manifestations auxquelles elle prend part. En effet, les hommes au maillot flanqué du célèbre « CCCP » restent sur quatre titres consécutifs aux Jeux, et ont remporté quatorze des dix-sept derniers championnats du monde. Durant la décennie 70, ils défient en outre ponctuellement des formations professionnelles, qu’ils domptent régulièrement (notamment lors des Summit series de 1974, ou encore en 1979 lorsqu’ils humilient une équipe All-Star composée d’éléments de la Ligue Nationale six buts à zéro. A l’issue de ce camouflet, Frank Mahovlich, ailier gauche de Montréal et toujours friand de bons mots, déclare : « Si vous les mettez au football, en deux ans ils seront capables de remporter le Superbowl »). Le mythique entraîneur Viktor Tikhonov possède dans ses rangs des joueurs hors du commun, des légendes vivantes comme Boris Mikhailov, Alexander Maltsev, Vladimir Petrov, Valery Kharlamov, Vladislav Tretiak, et de jeunes étoiles en devenir, qui ont pour noms Viacheslav Fetisov, Vladimir Krutov ou Sergei Makharov. Outre leurs prédispositions naturelles pour le jeu au-dessus de la moyenne, ces athlètes, dont le statut amateur n’est que fiction sournoise leur permettant de participer aux grands événements internationaux, se dévouent corps et âme à la pratique du hockey, évoluant pour la majorité dans le même club, le CSKA Moscou, et s’entraînant ensemble onze mois dans l’année. La mécanique est parfaitement huilée, et c’est une authentique « Dream Team » qui se présente à Lake Placid, avec un seul et unique objectif : l’or.
La méthode Brooks
- Herb Brooks
Du côté américain, la lourde tâche de former une équipe compétitive pour ces Jeux à domicile, incombe à Herb Brooks, ancien international et coach universitaire à succès (il remporte notamment trois titres NCAA derrière le banc des Golden Gophers de Minnesota en 1974, 1976 et 1979). Il connaît parfaitement les rouages du hockey amateur, et se lance dans sa quête un an et demi avant la cérémonie d’ouverture. Pour ce faire, il organise un camp d’entraînement à Colorado Springs, regroupant près de 200 joueurs, qu’il observe scrupuleusement durant quelques jours, avant d’établir sa sélection. Brooks est un perfectionniste absolu, qui possède une conception originale du hockey, et qui sait exactement ce qu’il peut, et veut tirer de ses protégés. Il sait pertinemment que son équipe ne pourra rivaliser avec les Européens, et a fortiori les Soviétiques, sur le plan du talent et de la technique individuelle : il a pris note des leçons infligées par la machine rouge aux professionnels nord-américains les années précédentes : « Les formations All-Star ont failli car elles se sont trop reposées sur le talent de leurs individualités, et les Soviétiques retournent ce talent contre vous au travers d’un système mis en place pour améliorer leur équipe. Je souhaite accaparer ce système et les battre à leur propre jeu ». L’escouade qu’il ambitionne ainsi de constituer devra être rigoureuse, solidaire, et se focaliser sur la vitesse d’exécution et le jeu en mouvement, sans se débarrasser et courir systématiquement derrière la rondelle. Il réunit un groupe de vingt joueurs, à qui il impose une discipline draconienne : il instaure des stages de préparation au cours desquels son équipe est soumise à un intense conditionnement physique, suivis d’une tournée de quatre mois en Europe et en Amérique du Nord. Rapidement cependant, des dissensions se font jour au sein du groupe. La plupart des joueurs sont en effet issus de deux universités rivales, Minnesota et Boston, qui se retrouvent toutes les saisons en lutte pour le gain du Frozen Four. La gestion des égos est délicate, et plusieurs bagarres éclatent à l’entraînement. Brooks va alors reprendre les choses en main. Il admoneste ses protégés : « Si vous voulez régler de vieux comptes, vous êtes dans la mauvaise équipe ». Et, en se faisant volontairement détester d’eux par ces méthodes martiales et une pression psychologique constante, il va devenir le vecteur unificateur de l’équipe. Les paroles du médecin en chef du Team USA, vont en ce sens : « S’ils commencent à le haïr, ils arrêteront peut-être de se détester les uns les autres ». Afin d’obtenir le meilleur de ses favoris, l’entraîneur n’hésite pas à les rabaisser constamment, à jouer avec leur orgueil, à les piquer au vif. Il signale ainsi à son gardien titulaire, Jim Craig, qu’il le trouve fatigué avant l’ouverture de la compétition, et qu’il regrette de l’avoir fait trop joué, bien qu’il n’en pense mot. Il connaît en effet exactement l’état d’esprit de son cerbère, qui fonctionne à la motivation et se transcende lorsque la tension est à son paroxysme. D’autres joueurs se souviennent des relations conflictuelles entretenues avec leur coach despotique, à l’image du cadet de l’équipe Mike Ramsey, 18 ans à l’époque, qui confesse : « Il mettait la confusion dans nos têtes à chaque opportunité », ou de Mike Eruzione : « Si Herb venait chez moi aujourd’hui, ce serait toujours inconfortable ». Toutefois, tous le respectent, et prêtent une oreille attentive à son discours. Brooks est un anti-communiste avéré, et aspire à donner à ses troupes l’envie et la force mentale nécessaires pour triompher de l’ennemi soviétique sur la glace. Il veut leur faire prendre conscience que les hommes de Tikhonov ne sont pas des dieux, mais bien des mortels, qu’il n’est pas impossible de vaincre. Il n’hésite pas ainsi à comparer Boris Mikhaïlov à Stan Laurel (de Laurel et Hardy), attestant : « Vous pouvez battre Stan Laurel, non ? », et déclare au travers d’une des nombreuses formules métaphoriques dont lui seul a le secret, et qui seront bientôt intitulées « Brook-ismes », qu’il faut « regarder le tigre dans les yeux et lui cracher au visage ». Une véritable cohésion commence à émerger au sein du groupe, mais il en faudra bien plus. A quelques encablures du coup d’envoi du tournoi olympique, les Américains affrontent la machine de guerre soviétique, lors d’une rencontre à guichets fermés disputée au Madison Square Garden. Les boys sont étrillés sur le score sans appel de 10 à 3, dans un match au cours duquel ils ne font même pas illusion. La sanction est lourde, et ramène les plus optimistes sur Terre : il y a plus d’une classe de différence entre les deux formations, et les espoirs de voir l’équipe à la bannière étoilée ramener ne serait-ce qu’une médaille de bronze de Lake Placid, flirtent avec le néant…
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