Contraint à réagir face à l’émoi de l’opinion publique à la suite des révélations en cascade sur les rémunérations des grands patrons français, le gouvernement a donc choisi la voie réglementaire. Contre l’avis de Laurence Parisot qui préconisait la simple application du code déontologique Afep-Medef. Contre l’avis de la gauche et de quelques francs-tireurs de l’UMP qui appellent à un débat au parlement et à un encadrement législatif.
Ce n’est plus un secret pour personne. L’unité des Français est menacée par un contrat social qui bat de l’aile. En quelques décennies, on est passé d’un système acceptable d’enrichissement général dans lequel peu ou prou une majorité se retrouvait à une mécanique infernale dans laquelle, les élites financières, du fait de leur cupidité, sont devenues prédatrices. L’écart des rémunérations s’est ainsi considérablement creusé pour passer d’un rapport entre les rémunérations de 1 à 30 à, 1 à 500.
L’injustice est la mère de toutes les révolutions. Le moteur du capitalisme est en panne. La recherche de profits particuliers ne contribue plus à l’enrichissement général. Pire, c’est désormais au collectif de réparer des erreurs individuelles de gestion, quitte au passage à contribuer à l’enrichissement des fautifs.
Le malaise est profond. Selon un sondage OpinionWay pour LCI et Le Figaro de samedi, 85% des Français interrogés, seraient favorables à une législation sur la rémunération des chefs d’entreprises ayant bénéficié d’aides de l’Etat.
L’opinion publique est saisie par la démesure des salaires patronaux. Comment les ramener à un niveau décent ? Trois solutions étaient envisageables. Un décret gouvernemental, une loi ou, une auto-régulation via le code de déontologie du patronat.
Le gouvernement qui veut donner l’impression d’avoir la main sur le dossier a choisi la première option.
Les propositions pour tenter de corriger le système ne manquent pourtant pas. Laurence Parisot a répété toute la semaine que, “ce que la loi ne peut pas faire totalement, un code éthique peut le faire“.
Outre l’encadrement ou la suspension des stock-options Jean-Marc Ayrault, s’est également prononcé pour le plafonnement à 300 000 euros des salaires des dirigeants pour les entreprises aidées, “Si on ne fait pas ça, le système devient immoral et fou” a souligné le président du groupe socialiste de l’Assemblée Nationale.
Alain Juppé, très présent depuis quelques temps dans les médias, marque sa différence. “Le décret (…) c’est nécessaire, c’est le minimum de ce qu’il faut faire mais ce n’est pas suffisant“, “Le fait d’appeler à la mesure et à limiter un certain nombre d’excès ce n’est pas du socialisme, c’est tout simplement une volonté de justice“.
Une appréciation partagée par Philippe Houillon, rapporteur de la mission parlementaire sur la rémunération des dirigeants de société. Selon le député le décret va régler la question des entreprises qui reçoivent des aides de l’Etat, “et seulement cela“.
La mesure gouvernementale ne serait donc qu’une demi-mesure. Le pari est risqué. Un simple décret risque d’être insuffisant pour éteindre l’incendie d’autant que dans l’opinion publique, le président de la république, jusqu’à présent étroitement lié au patronat, est avant tout perçu comme l’ami des riches et des puissants.
“Il faut inscrire dans la loi que la rémunération doit correspondre à l’intérêt général de l’entreprise” a sans ambiguïté ajouté Philippe Houillon, conscient de la déchirure entre les français et l’entreprise.
Et nous voilà ramené logiquement à la notion d’ordre juste de Ségolène Royal. “L’Etat a la puissance d’intervenir pour remettre de l’ordre juste et il ne le fait pas“, “Tout ce qui divise le pays, cet excès de richesses et cette accumulation de pauvreté de l’autre divise et fragilise le pays” a déclaré la présidente de la région Poitou-Charentes.
De son coté, Jean-Claude Mailly (FO), s’interroge sur l’opportunité de plafonner les dividendes d’une manière générale alors que François Chérèque (CFDT) demeure dubitatif : “On a le sentiment qu’une fois la crise passée tout recommencera comme avant“.
Sur Lci Jacques Julliard (Le Nouvel Observateur) a rappelé La fable des abeilles (1729) de Bernard Mandevilleselon laquelle le vice privé nourrit la prospérité générale. Peu importait somme toute l’enrichissement de quelques-uns si, ces derniers concourraient à l’enrichissement général. Or aujourd’hui, ce paradigme semble brisé. La réalisation de fortunes colossales dans des laps de temps très réduits devient inacceptable quand elles sont médiatisées et se font sur le dos d’une majorité qui elle, s’appauvrit. Et c’est tout le système capitaliste qui tremble sur ses bases.