Deux associations - Ensemble Contre la Peine de Mort et Solidarité Chine - ont (enfin) décidé de saisir le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Paris pour faire cesser les atteintes portées aux droits fondamentaux de la personne humaine par l’exposition à des fins mercantiles de vrais cadavres d’origine chinoise dans le cadre de l’exposition “Our Body, à corps ouvert” à l’espace Madeleine.
L’avocat des associations a privilégié la voie civile sur la voie pénale (plainte au procureur de la République) en raison de la rapidité de la procédure devant le juge des référés civil. S’il devait aboutir, le référé civil pourrait permettre au juge de prononcer l’interdiction de l’exposition et la réparation du préjudice des victimes exposées à leur corps défendant - pourrait-on dire.
Elle est pourtant organisée au mépris des dispositions du Code Civil qui prévoient que l’indisponibilité du corps humain et que son respect ne cesse pas avec la mort, que les restes de personnes décédées doivent être traitées avec dignité et décence, que l’atteinte portée à l’intégrité du corps ne peut se concevoir qu’en cas de nécessité médicale (art. 16 et s. code civil).
“La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie”.
Cette exhibition contrevient également aux dispositions du Code de la Santé Publique, qui prévoient que le prélèvement d’organes sur une personne dont la mort a été dument constatée ne peut être effectué qu’à des fins thérapeutiques ou scientifiques (Chapitre II : Prélèvement sur une personne décédée. en particulier :
“Article L1232-1
Le prélèvement d’organes sur une personne dont la mort a été dûment constatée ne peut être effectué qu’à des fins thérapeutiques ou scientifiques.
Ce prélèvement peut être pratiqué dès lors que la personne n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélèvement. Ce refus peut être exprimé par tout moyen, notamment par l’inscription sur un registre national automatisé prévu à cet effet. Il est révocable à tout moment.
Si le médecin n’a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s’efforcer de recueillir auprès des proches l’opposition au don d’organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt, par tout moyen, et il les informe de la finalité des prélèvements envisagés.
Les proches sont informés de leur droit à connaître les prélèvements effectués.
L’Agence de la biomédecine est avisée, préalablement à sa réalisation, de tout prélèvement à fins thérapeutiques ou à fins scientifiques.”
On peut aussi relever l’atteinte à l’article 225-17 du Code pénal (”Toute atteinte à l’intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15000 euros d’amende”).
Le fait que l’atteinte aurait eu lieu à l’étranger ne change rien à l’affaire. Imaginons une famille décidant de congeler un corps à l’étranger et déménageant ensuite le congélateur en France dans l’espoir d’un clonage (voire même d’une résurrection en s’inspirant d’Hibernatus, de Han Solo ou de Jésus), l’atteinte serait tout autant constituée.
L’intérêt à agir des requérantes - deux associations de défense des droits de l’homme en Chine - est justifié pa le fait que les cadavres sont d’origine chinoise. Selon l’organisateur, il aurait obtenu l’assurance qu’ils ont donné leur consentement pour donner leur corps à la science. Mais d’une part, en cas d’atteinte à l’intégrité du cadavre de ce type (en dehors des cas prévus par la loi), le consentement importe peu (le respect de la dignité s’impose même contre le consentement de la personne s’il a atteinte à l’ordre public comme dans le cadre du “lancer de nain” ou de la congélation de cadavres humains…) et, à supposer même qu’il y ait eu consentement, rien ne démontre que les victimes chinoises aient consenti à ce que leur cadavre soit disséqué, transformé et plastifié. Consentir à un don pour la science n’entraine pas nécessairement consentement pour une telle exposition à finalité mercantile.
L’argumentation centrale des requérantes ne repose donc pas que sur le fait qu’on ignore la provenance exacte des cadavres et qu’il se pourrait qu’ils soient des prisonniers politiques victimes de la peine de mort. Si tel était le cas, ce serait en quelques sortes une “circonstance aggravante” renforçant la nécessité d’interdire cette exposition et d’indemniser les familles des victimes de ces pratiques indignes de l’humanité.
Dans une tribune du 25 mars 2009, Maître Sédillot explique sa démarche:
“Exhibés comme une marchandise spectacle, 17 cadavres de jeunes Chinois sont actuellement présentés, à l’occasion d’une bien étrange exposition dénommée “Our Body, à corps ouverts”, organisée Boulevard de la Madeleine à Paris.
Montrés comme des curiosités, les corps sont dépecés, disséqués, éviscérés, découpés, innervés. De nombreux visiteurs acquittent la somme de 15€ pour assister à cette contestable exposition de corps humains dont l’origine reste encore sujette à interrogation. Quelle aurait été la réaction du grand public (et des autorités) si les corps avaient été ceux de ressortissants français ? Peut-on imaginer qu’on n’aurait pas alors tenté d’en déterminer l’origine ? La nationalité chinoise des êtres humains ainsi traités serait-elle une circonstance atténuante de ces manipulations et de leur exhibition ?
Aux côtés de ces cadavres conservés selon une technique particulièrement sophistiquée, l’imprégnation polymérique, dont l’organisateur explique qu’elle nécessite des heures de travail, de nombreuses vitrines présentent des organes, eux-mêmes prélevés sur des corps humains : poumons, foies, cœurs, estomacs, reins…
Les visiteurs, qui semblent pour certains fascinés par cette exposition morbide, ont-ils, un instant, imaginé le sentiment qu’ils pourraient éprouver en constatant que le corps d’un de leur proche, en eut-il fait don à la science, a fait l’objet de manipulations pour être ensuite exhibé aux yeux du grand public dans une galerie située sur une grande artère parisienne ? Se sont-ils posé la question de l’origine de ces cadavres, qui ont été fournis par une fondation située en Chine, alors même que les pratiques judiciaires et carcérales de ce pays sont dénoncées par toutes les organisations de défense des droits de l’homme ? Se sont-ils demandé si les personnes dont les cadavres sont présentés ont consenti à cette macabre exposition ? Ne sait-on pas ici que, dans de nombreux cas, les parents des suppliciés chinois se plaignent de n’avoir pas pu voir ni recueillir la dépouille de leur proche ? Selon la tradition chinoise, la mise en terre d’une personne décédée correspond à l’acte le plus sacré de la vie familiale. On peut en déduire à quel point l’exposition de corps sans sépulture peut être traumatisant pour les familles concernées. (…)”.
Comme nous l’avons montré dans un précédent billet (Monsieur le préfet de police: interdisez l’exposition “Our body”, au nom de la dignité de la personne humaine! , 24 février 2009), il aurait été tout autant possible de saisir en référé-iberté le tribunal administratif de Paris pour faire cesser l’atteinte à la dignité de la personne humaine et par suite à l’ordre public du fait de l’inaction du préfet de Police de Paris qui aurait dû dès février 2009 interdire cette exposition. La responsabilité de l’Etat pourrait d’ailleurs être engagée.Contacté par nos soins, Maître Sédillot assure qu’il tentera la voie administrative dans le cas où la voie civile n’aboutirait pas à une interdiction. Le juge civile des référés pourrait se prononcer dans la dizaine. En référé-liberté, l’affaire aurait pu être jugée en 48 heures et en tout cas dans la semaine.
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- TRIBUNE par Maître R.Sedillot Exposition de cadavres, 25 mars 2009
- Avocat des associations Ensemble conte la peine de mort et Solidarité Chine>> Téléchargez le Communiqué de Presse