Jean-Marie Dru, président de TBWA
“Le meilleur de la communication est à venir…”
Qui sera le maître du jeu de la publicité demain : l’annonceur ou le consommateur ? A cette question, Jean-Marie Dru, PDG du groupe mondial de publicité TBWA, nomme le second, sans hésiter. Et cette nouvelle donne va obliger les agences à une surenchère créative. Premier Français à diriger un réseau américain, Jean-Marie Dru, auteur de “La publicité autrement”, (Gallimard) propose une nouvelle façon de regarder la valeur de ce métier pour l’entreprise de demain… Un enjeu énorme car cette “autre” publicité devient, par sa seule force créative, une composante motrice de la vie socio-économique et mobilise une entreprise aussi bien en interne qu’en externe.La publicité autrement… qu’entendez-vous par ce titre ?
Jean-Marie Dru : Nous vivons le deuxième grand bouleversement du paysage publicitaire. Le premier fut l’ouverture de la télévision à la publicité. Le second correspond au développement du web 2.0 qui crée une nouvelle relation entre la marque et le consommateur, plus interactive et plus complice au moment même où cette publicité télévisée - et plus globalement la publicité dans les médias traditionnels - est contestée.
Il nous faut donc non seulement repenser notre métier mais également, et c’est le cœur de notre réflexion chez TBWA, avoir une approche créative des contenus. Une façon de faire de la publicité “autrement”.
Et puis “autrement”, parce qu’après plus de 30 ans passés au service de marques prestigieuses, françaises et internationales, je voulais présenter mon métier sous un autre angle. Celui de la passion des marques et des histoires que nous créons pour les promouvoir, qui nous accompagnent à chaque étape de nos vies.
A vous lire, le rôle de la publicité va bien plus loin que la vente ?
Jean-Marie Dru : Depuis bien longtemps, la publicité fait plus que vendre ! Elle contribue aux ventes à court terme, elle donne de la valeur aux marques à long terme. Elle témoigne de l’engagement, des valeurs et de la vision de l’entreprise.
Par exemple ?
Jean-Marie Dru : Avec “Think different”, signature de marque d’Apple depuis 1997, la marque à la pomme n’envoie pas seulement un message à l’externe. C’est aussi un cri de ralliement pour tous les collaborateurs, une invitation chaque matin à apporter des solutions nouvelles, à penser différemment. Lorsque la SNCF invite à nous rendre compte que l’entreprise toute entière s’engage à changer avec la signature “A nous de vous faire préférer le train”, ou plus récemment “Des idées d’avance”, on voit bien que le discours dépasse la simple argumentation produit.
Aujourd’hui, les entreprises ne peuvent plus se cacher derrière leurs marques ; nous développons pour McDonald’s, chaque année en France, plusieurs campagnes dites institutionnelles ou corporate, car les clients des restaurants sont aussi des citoyens, des mères de familles, des étudiants à la recherche d’un emploi et tous demandent des comptes à l’entreprise.
Au-delà de la relation commerciale, la publicité instaure d’autres liens qui vont de pair avec la marque et la communication d’entreprise dans son ensemble ?
Jean-Marie Dru : Il existe des centaines de points de contact entre une entreprise et son public ; tous ne servent pas à vendre, ils proposent de nouvelles expériences aux consommateurs, parfois loin de la relation commerciale. La publicité et la communication dans son ensemble construisent des marques, et derrière cette idée, on trouve aussi la notion de valeur et donc d’actif. La marque “Nike” par exemple constitue, à elle seule, 84 % de la valeur de l’entreprise selon le rapport BrandFinance 250.
Provoquer, séduire, captiver… quels sont aujourd’hui les nouveaux challenges de la publicité ?
Jean-Marie Dru : Je ne crois pas à l’idée de la publicité qui provoque pour le plaisir de provoquer. Choquer peut être un levier de la communication comme pour AIDES ou Amnesty International. Cela ne doit pas, pour autant, devenir un système. Séduire ? Bien entendu. Regardez les fanatiques d’Apple… Ils sont dans une relation presque amoureuse à la marque.
Les challenges sont donc au fond les mêmes ?
Jean-Marie Dru : Oui, ce sont les moyens de mise en œuvre des stratégies publicitaires qui ont changé. Plus que jamais il nous faut comprendre ce que chaque canal doit apporter à la relation. La nouvelle expertise est ce que nous appelons chez TBWA le “Media Arts”, c’est-à-dire la nécessité pour les marques d’être originales, disruptives, non seulement dans le fond du message, mais aussi dans la forme de son expression et l’usage inédit des media, en particulier numériques. C’est l’art de dire des choses différentes, en utilisant les medias d’une autre manière.
Qu’est-ce que la disruption ? En quoi cette approche créative se joue des limites pour mieux les dépasser ?
Jean-Marie Dru : La disruption est plus qu’une méthode, c’est un mode de pensée qui débusque les conventions, les façons stéréotypées de faire ou de penser et élabore pour nos clients des visions plus ambitieuses au service de leurs marques.
La disruption postule qu’il n’existe pas réellement de limites. Et c’est dans l’étude des conventions qui figent la pensée que nous trouvons des idées en rupture. La disruption nous différencie de nos concurrents, c’est notre marque de fabrique, c’est elle qui est à l’origine des plus belles pages de l’histoire de notre réseau.
En quoi l’émergence des NTIC modifie le rôle des medias traditionnels ?
Jean-Marie Dru : Avec les nouvelles technologies, les medias traditionnels, intrusifs, entrent en concurrence avec les medias nés du web 2.0 et de la 3G. Ce sont des media de culture totalement différente puisque le public choisit de voir ce qu’il veut, et quand il le veut (publicité virale, site web, jeux sponsorisés, chaînes de “télévision” brandées…)
Et comment Internet et le web 2.0 créent-ils une nouvelle relation avec le consommateur ?
Jean-Marie Dru : Internet offre une caisse de résonance d’un tout nouveau genre. La publicité ne va plus aux publics, ce sont eux qui viennent à elle. Je ne parle pas des bannières ou pop-ups qui sont tout aussi intrusifs qu’un 15 secondes télé mais de centaines de milliers de films vus chaque jour sur Youtube comme l’expérience Coca Light Mentos ou les films iPod.
Le web peut désormais être le cœur d’une stratégie media pour ce qu’il offre de possibilités de délivrance de contenu. Ce que nous avons fait pour un jeu PlayStation, Shadow of the Colossus, en est un parfait exemple. A l’origine, nous avons un petit film viral tourné à la manière d’un reportage d’information d’une chaîne de télé indienne : on a découvert le squelette de ce qui pourrait être un géant. Et puis d’une rumeur sont nés des blogs, des forums de discussion, un voyage planétaire au cœur de la “géantologie” auquel 25 millions de personnes ont participé.
Les nouveaux medias permettent une communication beaucoup plus ciblée que les medias traditionnels. Derrière ce lieu commun se cachent de formidables ressorts d’efficacité de la communication et de sa mesure. C’est pourquoi je dis souvent que, dans les métiers de la communication, le meilleur est à venir.
Interview publiée sur le site de l’UJJEF:: communication et entreprise