21 - Morceaux de puzzle

Par Basile
"… sauvegarder votre message, taper 3, réécouter, taper …" Steve était toujours pendu au téléphone : la miss qui gérait sa messagerie lui répétait pour la huitième fois, avec une patience insupportable, tout ce qu'il pouvait faire de l'étrange message qu'il venait d'écouter. Son cerveau tournait à 100 à l'heure, tentant désespérément d'assembler les pièces du puzzle. "Cette fille m'a laissé un message cette nuit pour me prévenir de ne pas lui faire confiance et de ne pas lui ouvrir ma porte. Ce matin elle arrive chez moi, sonne, me montre son foutu tatouage, me file un sac rempli de conneries et court se jeter dans le vide… Quelque chose cloche, elle ne pouvait pas être dans son état normal ce matin… Elle devait être droguée… Et elle l'avait prévu…" Les maigres conclusions qu'il tirait de tout ça ne pouvaient pas le satisfaire. Il raccrocha finalement et quitta le Keller's Club, non sans jeter un coup d'œil incrédule à la faune à la fois joyeuse et inquiétante qui avait envahi le bar. Une fois dehors, il se dirigea tranquillement vers la bouche de métro la plus proche, direction : Alesia. Perdu dans ses pensées, Steve était à mille lieues de se douter que son destin se jouait au même moment, en divers endroits de la capitale…

Au volant de sa décapotable noire, quelque part dans le XVIIIème, Sergueï était toujours en communication avec Vladimir :
- Ca y est, j'ai récupéré ta fille, Vladimir, Elle est saine et sauve. Je te la ramène.
- Спасибо Sergueï. Dire qu'on la surveille depuis bientôt 5 mois… Comment diable ce maudit Brigadier a-t-il pu faire son coup ?
- Impossible à dire pour l'instant. Dès qu'elle se réveille, je te préviens.
- OK. J'appelle Oleg, il a peut-être du nouveau…
До Свидания Sergueï.
-
Увидимся позже.

A quelques rues de là, dans le hall de l'hôpital Bichat, Mizka venait de perdre la troisième manche de Chifoumi qui l'opposait à Moustache. Résignée, elle composa le numéro de John.
- Allo John, c'est Mizka.
- Alors, vous l'avez ?
- C'est-à-dire que… La chambre était vide, nous pensons que…
- Ne pensez pas ! Je me fous de vos explications à la con. Vous êtes deux foutus incapables ! C'est votre deuxième enlèvement raté de la journée, alors que vous avez toute la panoplie de vrais flics sur le dos ! C'est quoi le problème ?
- Mais chef, c'est que …
- Je m'en fous j'te dis ! Vous cherchez des engueulades à qui mieux mieux, ou quoi ? Y'a une compèt' en cours ? Retrouvez la, il me la faut avant ce soir !

John bouillait de rage. Il s'ouvrit un second Chum Up®, tant pis pour ses intestins. Il composa un autre numéro.

Dans l'audi A6 qui venait de quitter la rue Daviel, le téléphone sonna. L'homme aux cheveux rouges décrocha.
- Allo, le rouquin ? Baisse ta foutue musique de fillette. T'es toujours dans ta bagnole de beauf' ? T'as récupéré le sac ?
Le rouquin baissa le volume. Bob Dylan, Blowin' in the Wind. Il répondit avec son flegme habituel :
- Salut John. J'ai raté le sac. Mais j'ai du nouveau. Ce bon vieux Paulo fricotte encore avec ton ex-femme. Ils étaient à l'appart. Et le vieux Oleg aussi. Lui, je l'ai pas raté.
- Bon. Tant pis pour le sac. Continue comme prévu, je m'occupe du reste. Ciao.

Dans la rue de la Santé, la saxo verdâtre de Paul poursuivait sa route. Un silence oppressant occupait l'habitacle. Les questions se succédaient dans la tête de Suelen. "Pourquoi Paul avait-il abandonné Oleg sans plus de scrupules ? Pourquoi s'était-il montré réticent à ce qu'elle l'accompagne ? Pourquoi semblait-il si nerveux, lui qui d'habitude était toujours si sûr de lui ?" Suelen ne comprenait pas grand-chose à cette histoire. Mais ce dont elle était sûre, c'est que celui qui était devenu son confident en l'espace de quelques mois lui cachait quelque chose…
Paul, de son côté, était également tracassé. Pas à cause de l'accident auquel il venait d'assister. Non, plutôt à cause de cette photo qu'il avait trouvée dans son portefeuille. Oh, ce n'était pas la photo en elle-même qui l'inquiétait, il se souvenait parfaitement du moment où elle avait été prise. Ce qui l'ennuyait d'abord, c'était de ne pas savoir qui l'avait prise. Mais par-dessus tout, ce qui le perturbait, c'était le mot qui avait été noté au dos, et qu'il avait réussi à dissimuler à Steve. Увидимсяпозже. Evidemment, il était largement en mesure de le comprendre.

S'approchant d'Alesia, et ignorant tout de ce qui se tramait dans son dos, Steve était également à mille lieues de se douter que "l'Affaire Keller" avait commencé plusieurs mois auparavant…

4ème arrondissement, 5 mois plus tôt :

Dès la première sonnerie, Vladimir interrompit son récit. Il se dirigea vers le téléphone, et sans aucune appréhension, il décrocha.