Le piratage de DVD financerait le terrorisme
Un rapport de chercheurs américains pointe des «preuves substantielles» de liens entre la contrefaçon de films et le crime organisé. Le Hezbollah et le groupe paramilitaire irlandais PIRA, entre
autres, en profiteraient....
Les chercheurs de la très respectée Rand Corporation, à Santa Monica (Californie), ont interrogé 120 agences de maintien de l’ordre, dans plus de vingt pays, pour analyser le «marché» du piratage
de films. «Il existe des preuves substantielles d’un lien important et continu entre le piratage de films et le crime organisé», conclut leur rapport, «Film Piracy, Organized Crime and
Terrorism», commandé par les studios d’Hollywood, et publié début mars.
Gregory Treverton, le directeur du Rand Center for Global Risk and Security, qui a conduit l’enquête, ajoute: «Le piratage est une activité à haut rendement – avec des marges bénéficiaires
supérieures au trafic de stupéfiants – et comportant peu de risques, car il échappe à la surveillance des autorités.»
Le coût de fabrication d’un DVD piraté est d’environ 70 centimes de dollar (0,8 francs) et son prix de vente au marché noir peut atteindre 9 dollars (10,30 francs), soit un bénéfice
«trois fois plus élevé que le trafic de drogue», précisent les chercheurs. La technologie de reproduction numérique est accessible et peu onéreuse, et les pénalités plutôt légères pour les
auteurs de contrefaçons.
L’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE) évalue le marché des produits contrefaits à 200 milliards de dollars (environ 230 milliards de francs, chiffres 2005). Une étude de la Motion Picture Association (MPA), organisme représentant les studios américains, estime les pertes mondiales de l’industrie du cinéma à plus de 18 milliards de dollars, soit 20,6 milliards de francs (sur un chiffre d’affaires de 400 milliards de dollars), imputables à 60% aux DVD pirates et à 40% au téléchargement en ligne. Le manque à gagner pour les seuls studios hollywoodiens membres de la MPA atteint 6 milliards de dollars.
Une carte du piratage des DVD (fabrication et vente) pointe les pays particulièrement actifs: Bolivie, Brésil, Chine, Colombie, Indonésie, Kazakhstan, Koweït, Lituanie, Malaisie, Pakistan,
Roumanie, Russie et Ukraine. Le rapport fournit une liste d’organisations mafieuses ou «gangs» qui ont ajouté le piratage de films à leurs activités criminelles (trafic d’armes et de stupéfiants,
prostitution, contrefaçon, racket, etc.).
Aucun n’est signalé sur le territoire français, mais en Italie on retrouve la Camorra; en Espagne, le Madrid Human Smuggling Ring, en Grande-Bretagne, la Lotus Trading Company; en Asie, les
triades de Hongkong; au Canada, les Big Circle Boys; et, aux Etats-Unis, deux groupes mafieux: Yi Ging et Jah Organization.
Les chercheurs mettent en évidence des liens entre le crime organisé et le financement du terrorisme. Le Barakat Network, qui opère aux frontières du Brésil, de l’Argentine et du Paraguay,
finance, notamment avec le piratage de films, des organisations terroristes islamiques. «Nous avons trouvé des preuves que les bénéfices du piratage finançaient le Hezbollah», précise Gregory
Treverton.
Dans une lettre jointe au rapport, un leader du groupe islamiste remercie un pirate de DVD, Assad Ahmad Barakat, pour son transfert de 3,5 millions de dollars. Or, ce dernier est désigné
comme «terroriste global» par le gouvernement américain.
Le réseau Barakat verserait environ 20 millions de dollars (23 millions de francs) par an au Hezbollah (un cinquième de son budget annuel). Le groupe paramilitaire irlandais PIRA
(Provisional Irish Republican Army) tirerait aussi ses ressources de la contrefaçon, de même que l’organisation extrémiste D-Company qui sévit de Bangkok à Dubaï.
Un gros problème, explique Gregory Treverton, est que «les acheteurs de copies piratées pensent commettre une petite offense, mais c’est faux! C’est un crime contre la propriété intellectuelle et c’est, donc, comme le montre notre rapport, une question de sécurité nationale».
Renforcer la répression et sensibiliser le public sont des pistes. Sensibiliser les Etats aussi. La Chine, un des tout premiers pays pour la vente de films contrefaits, limite la distribution des
films étrangers à vingt par an, ce qui incite les amateurs de cinéma à voir des films piratés.
Claudine Mulard Los Angeles Le Monde