Est-ce vraiment par hasard si l’exposition « Filippo et Filippino Lippi – La Renaissance à Prato », au musée du Luxembourg, a commencé le 25 mars, jour de l’Annonciation ? Car Filippo Lippi en a peint de superbes, des Annonciations, par exemple celle-ci :
Annonciation en présence
de saint Julien l’Hospitalier, vers 1460
Museo Civico, Prato
L’exposition rassemble une soixantaine de tableaux et sculptures du XIVe au XVIe siècle, encore jamais présentés en France (et, pour certaines œuvres, jamais sorties d’Italie), provenant en partie du musée municipal de Prato, ainsi que d’autres institutions de la région. Ville située en Toscane, à 15 km au nord de Florence, Prato fut, sans conteste, un important foyer artistique durant cette période grâce notamment aux nouveautés stylistiques initiées par Filippo Lippi, puis son fils Filippino, lors de leurs séjours respectifs à Prato (*). Elle permet ainsi d’apprécier l’influence des Lippi dans l’avènement d’un style novateur, la Maniera, développée avec leurs plus proches collaborateurs (Fra Diamante et Domenico di Zanobi), puis relayée par leurs suiveurs (Tommaso di Piero dit Il Trombetto, Luca Signorelli, Zanobi Poggini, Raffaellino del Garbo, entre autres). (D’après le site du musée).
Vierge de la Ceinture (vers 1460)Museo Civico, Prato
Les Lippi, Filippo (né à Florence vers 1406) et son fils Filippino (né à Prato en 1457), figurent parmi les artistes les plus respectés à Prato au XVe siècle. Moine carmélite, Filippo menait pourtant une vie dissolue que seul le patronage de son mécène, le grand-duc de Toscane Côme de Médicis, mit à l’abri de la justice. En effet – l’histoire est bien connue – Filippino est né de l’union de Filippo avec une religieuse du couvent de sainte Marguerite, Lucrezia Buti ; tous deux furent libérés de leurs vœux par le pape Pie II grâce à l’intercession de Côme de Médicis. Avant de pousser les hauts cris (enfin, pas moi…), il faut replacer cette histoire dans son contexte. Megan Holmes, dans son livre Fra Filippo Lippi, The Carmelite Painter (Yale University Press, 1999) fait valoir que tout d’abord, ni Filippo ni Lucrezia n’avaient forcément eu la vocation monastique ; ils étaient entrés au couvent à un âge tendre (Filippo à huit ans, étant orphelin et élevé par une tante désargentée qui finit par le « placer » chez les frères Carmes, elle à quinze ans, à la mort de son père…) Et aussi qu’à part la période de Savonarole, au 15e siècle en Italie, un grand laxisme régnait dans les mœurs des religieux. Il est vrai que l’exemple venait d’en haut : les papes ne se gênaient pas… Le même Pie II qui voulait la peau du pauvre Filippo fut d’ailleurs, sous son nom de plume d’Aeneas Sylvius, l’auteur de textes érotiques (je n’invente rien).
Que Fra Filippo fût porté sur la chose, c’est peu dire. Giorgio Vasari (que Stendhal a largement pompé dans son Histoire de la peinture en Italie) écrit dans ses Vies des meilleurs peintres (vol. III) : « On dit qu’il était de tempérament très amoureux ; si une femme lui plaisait, il aurait donné pour l’avoir toute sa fortune, et s’il n’arrivait pas à ses fins par ce moyen, il la faisait poser et cherchait, en profitant de la conversation, à calmer l’ardeur de son amour. Cet appétit était chez lui si fort que, lorsqu’il était de cette humeur, il négligeait ou abandonnait les ouvrages entrepris. » Vasari raconte ensuite que Côme de Médicis avait même enfermé Lippi dans son palais pour le contraindre à travailler, mais que le peintre avait pris la fuite par la fenêtre. Au moment de l’histoire avec Lucrezia, Fra Filippo avait la cinquantaine, et elle moins de vingt ans. (Après Filippino, ils eurent aussi une fille, Alessandra).
Quoi qu’il en soit, le principal mérite de Lucrezia aura d’avoir été son modèle pour des œuvres où sa beauté limpide et la finesse de ses traits font merveille : la Vierge de la Ceinture (vers 1460) où elle est la sainte Marguerite, à gauche du tableau, ou l’extraordinaire Madone dite « Lippina » du musée des Offices (ci-dessus).
Par rapport à l’exposition simultanée du musée Jacquemart-André, celle-ci, qui dure jusqu’au 2 août 2009, est sans doute moins variée, plus limitée ; mais on ne va pas faire la fine bouche. A part les Lippi père et fils, elle comporte quelques œuvres de Paolo Uccello, Botticelli (une Nativité à l’étrange ciel couleur d’incendie), Ghirlandajo. Enfin, en ce qui me concerne, j’ai été très sensible à la grâce étrange de la sainte Lucie peinte vers 1480 par un anonyme « maître florentin du 15e siècle ». La sainte est représentée debout, tenant dans la main droite une lampe à huile (on sait que son nom signifie « lumière »), vêtue d’un ample manteau rouge. Elle arbore un sourire doux et serein. Tout irait bien si elle n’avait pas, plantée dans la gorge, une grosse et grossière épée d’où jaillissent des perles de sang d’un rouge de corail…
Fuligineuse
Une biographie détaillée de Fra Filippo Lippi ici
Sources images : galerie virtuelle de Prato et site Me Pinxit
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(*) Selon la Wikipedia, Prato est aussi connue pour avoir été durant la Renaissance une place financière européenne de tout premier plan. C'est dans cette ville que Francesco di Marco Datini inventa la lettre de change pour que les commerçants puissent traverser l'Europe sans risque de se faire détrousser.