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Pour en finir avec le mythe de la dérégulation financière sauvage

Publié le 29 mars 2009 par Objectifliberte

Le mythe de la "dérégulation financière sauvage" qui aurait provoqué la crise catastrophique que nous connaissons a la peau dure. Voici par exemple ce que l'on peut lire sur le blog d'un économiste en vue (et souvent bon, soit dit en passant) de la blogosphère, Barry Ritholtz, citant un confrère avec lequel il se trouve en accord:

From this confluence of campaign finance, personal connections, and ideology there flowed, in just the past decade, a river of deregulatory policies that is, in hindsight, astonishing:

  1. insistence on free movement of capital across borders;

  2. the repeal of Depression-era regulations separating commercial and investment banking;

  3. a congressional ban on the regulation of credit-default swaps;
  4. major increases in the amount of leverage allowed to investment banks;
  5. a light (dare I say invisible?) hand at the Securities and Exchange Commission in its regulatory enforcement;
  6. an international agreement to allow banks to measure their own riskiness;
  7. and an intentional failure to update regulations so as to keep up with the tremendous pace of financial innovation.

The mood that accompanied these measures in Washington seemed to swing between nonchalance and outright celebration: finance unleashed, it was thought, would continue to propel the economy to greater heights.

Chacune de ces "dérégulations" mérite un petit commentaire :

1. Liberté de mouvement de capitaux à travers les frontières: il y a encore quarante ans, les mouvements de fonds transnationaux demandaient plusieurs jours et requéraient des frais hors de proportion avec ce qu'ils sont aujourd'hui. La liberté de circulation des capitaux et la fluidité qui l'ont accompagné ont été un fabuleux vecteur d'opportunité pour de nombreuses sociétés établies dans des pays qui sont parti de très bas (Taïwan, Singapour, Malaisie, ...) et qui ont joué à fond le jeu de la mondialisation des échanges, et par ricochet pour nos entreprises, qui ont pu trouver de nouvelles opportunités de croissance. 

2. Abolition des règles de séparation entre banques commerciales et banques d'investissement: le fait est que si cette séparation a disparu depuis 1999, après 66 ans de "glass steagal act", les banques d'affaires ne se sont pas aussitôt mariées à des grandes banques commerciales. Par contre, la possibilité de tels mariages en a sauvé 4 sur 5 de la cessation d'activité depuis le début de 2008.

3. Refus du congrès de réglementer les "credit default swaps" : un point pour lui, quoiqu'il ne dise pas en quoi une telle réglementation aurait pu empêcher que les mêmes bons soient sur-couverts par plusieurs assurances dont beaucoup purement spéculatives, et en quoi la régulation n'aurait pas amené son lot d'effets inattendus et pervers... Il est également à noter que la solution prévue pour remédier à ce problème de sur-spéculation à découvert est une sorte de chambre de "compensation" des options que les opérateurs se prennent entre eux: pas réellement une option ultra-réglementaire, donc.

4. Augmentation des effets de levier légaux autorisés aux banques d'affaire: parfaitement exact, j'en ai d'ailleurs déjà parlé, mais est-ce un problème de dé-régulation ou de dé-mission du régulateur ? Quand un état choisit la voie de la régulation, il devrait savoir que la première chose que le régulé va essayer de faire, c'est de fléchir le régulateur. La dérégulation invoquée ici n'en est pas une mais est au contraire la preuve que la régulation est la porte d'entrée du "capitalisme de connivence"

5. Une SEC bien molle vis à vis des banques : la encore, parler de "dérégulation" alors qu'il s'agit seulement d'une incapacité de l'état à assumer les conséquences de la voie régulatrice qu'il a choisie, confine au "foutage de gueule", Mister Ritholtz.

6. Un accord international pour permettre aux banques d'auto-mesurer leur propre exposition au risque: Je suppose que Ritholtz évoque Bâle I (puis Bâle II). Là encore, parler de dérégulation est une fumisterie, je vous renvoie à mon article sur ces charmantes constructions réglementaires censées expliquer aux banques comment faire leur boulot.

7. "Une incapacité INTENTIONNELLE (de l'état) à tenir à jour ses réglementations pour tenir compte de l'évolution rapide des innovations financières" -- Là encore, il s'agit d'une pure foutaise: tout d'abord, l'état américain a ajouté dans les années 2000 jusqu'à 70 000 pages annuelles de réglementations applicables aux banques, sans doute le secteur le plus réglementé au monde avant même les armes et le nucléaire civil.

Ensuite, l'incapacité de l'état à se tenir à jour des pratiques privées n'est pas intentionnelle: elle est sociologique, et inhérente à l'incapacité de toute bureaucratie d'embaucher les meilleurs spécialistes d'une thématique donnée, et quand bien même, de les faire travailler dans un cadre leur permettant de donner le meilleur d'eux mêmes. Si 70 000 pages d'inepties n'ont pas permis de mettre à jour les règles par rapport aux pratiques financières, ce n'est pas par une volonté béate de "déifier wall street et le marché", comme le suggère Ritholtz, mais parce que les régulateurs sont par nature bien vite dépassés par la tâche... Et qu'ils finissent par s'en ficher, tant que la paie tombe.

Quand on veut "réguler", il faut non seulement légiférer mais se donner les moyens de faire appliquer la législation et de faire évoluer la législation avec les pratiques : c'est impossible, quand le volume de textes applicables occupe une très grande salle de bibliothèque.

Dérégulation, donc ?  Mais quelle dérégulation ?

Ajoutons que brandir les 7 éléments qui précèdent comme preuve d'une soi disant folie dérégulatrice, c'est oublier que:

> Le marché du crédit US était régi par des lois très contraignantes (dont le Community Reinvestment Act) qui ont contraint les banques à octroyer des prêts qu'elles n'auraient jamais ouvert,sauf accident, dans un marché libre. Les banques devaient prouver leur bonne application du CRA à pas moins de 4 agences fédérales.

> Le marché du crédit US a été largement modelé par l'intervention de deux géants opérant sous la garantie de l'état, Fannie et Freddie, et dont la subordination à des objectifs politiques incompatibles avec une saine gestion financière, a provoqué le gonflement d'une bulle de crédit sans précédent. Ce sont d'ailleurs les démocrates, prompts à crier haro sur la dérégulation aujourd'hui, qui se sont principalement opposés à la réforme de la régulation de ces deux monstruosités juridiques.

> Les réglementations de Bâle ont de facto donné à des agences de notation une position oligopolistique, et ont créé une demande artificiellement gonflée en produits de titrisation opaques, pourvus qu'ils paraissent peu risqués aux yeux des agences. Comme je l'ai déjà dit, "ne pas réguler" les fonds propres des banques mais les obliger à être transparentes sur la compostion de leurs portefeuilles aurait permis aux partenaires et investisseurs d'exercer leur propre jugement, et aurait sans aucun doute permis d'allumer des signaux d'alerte bien plus précoces chez les investisseurs.

> En matière de réglementation du sol, les états les plus "dérégulés" sont ceux qui ont connu le moins de bulle immobilière et le moins d'augmentation du nombre de faillites d'emprunteurs.

La crise actuelle n'est pas une crise d'une prétendue dérégulation sauvage, mais une crise d'incapacité du législateur à maîtriser les conséquences inattendues de chacune des couches législatives qu'il a imposées aux banques depuis des décennies. 

Même si aujourd'hui, nous avons l'impression de nous époumoner dans le vide, le temps viendra où la justesse de notre diagnostic sera reconnue, et où les remèdes qui en découleront se situeront aux antipodes des billevesées étatistes actuellement appliquées.
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