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Orelsan au pays des Bisounours

Publié le 29 mars 2009 par Lozsoc

Plein feux sur une polémique consternante

Orelsan au pays des BisounoursIl y a des sujets sans doute plus cruciaux à aborder que cette stupide et consternante polémique parisienne concernant le morceau sobrement intitulé « Sale pute » du rappeur français Aurélien Cotentin alias Orelsan, sous le prétexte qu’il inciterait à la violence contre les femmes.
Mais avant toute chose, écoutons l’objet de cet effroyable scandale.



Les mots sont en effet extrêmement durs et violents. Mais rappelons ce que l’auteur en a dit :

«Dans cette chanson, j’essaie de montrer comment une pulsion peut transformer quelqu’un en monstre. J’ai tourné un clip où je porte un costume cravate et bois de l’alcool, pour montrer qu’il s’agit d’une fiction. En aucun cas, je ne fais l’apologie de la violence conjugale. L’attitude de ce personnage me dégoûte, mais j’ai l’impression de représenter artistiquement la haine comme a pu le faire un film comme Orange mécanique.»

Amour, haine et pouvoir face à l’amour version Bisounours
Cette explication devrait se suffire à elle-même en dehors même de toute considération sur la qualité artistique du morceau (les goûts et les couleurs…) et de la référence à Kubrick. Il s’agit donc d’une histoire tristement banale d’adultère, comme il s’en produit des milliers chaque jour.

Elle montre simplement que l’amour, la haine et le pouvoir ont partie liées ou, pour le dire autrement, que l’amour ne correspond pas toujours à ce scénario romantique et heureux où les partenaires se blottissent éternellement l’un contre l’autre tout en se bisouillant dans un monde parfaitement propre et lisse.
Combien d’amants cachent ainsi leurs faiblesses respectives et leurs solitudes sous le couvert d’une suradaptation mielleuse ?
Combien d’entre eux sont prêts à admettre que l’amour, dans ses premiers élans, réduit inévitablement l’être aimé en une sorte de faire valoir dans lequel ils cherchent un reflet d’eux-mêmes ?



Certes, cette phase nécessaire est ce qui permet de connaître le délicieux état de la fusion amoureuse où tout est harmonie. Si ces impressions de départ sont des soutiens pour la route à parcourir ensemble, en revanche elles ne constituent pas la route elle-même. Le couple véritable vient souvent après, quand les amants commencent à se considérer réciproquement tels qu’ils sont et non tels qui voudraient être.
Et c’est précisément à ce niveau là que, très souvent, le bât blesse.
D’ailleurs, à sa manière, Orelsan ne fait pas dire autre chose à son gars (on est d’accord, ce n’est ni du Ronsard, ni du Verlaine…) :

« Putain j’avais envie de vous tuer, j’étais choqué, je croyais que tu était différente des autres pétasses.
Je te déteste je te hais.»

La blessure amoureuse que constitue l’adultère – qu’il soit le fait de l’homme ou de la femme – n’est jamais un évènement anodin ou une simple péripétie pour celui ou celle qui aime et le subit.
Cette blessure narcissique est d’autant plus douloureuse qu’elle porte la marque de la trahison, et renvoie à la personne trompée l’image insupportable du corps de l’être aimé se livrant volontairement à l’appétit sexuel d’un intrus.
Peu importe ici de savoir ce qui peut donc pousser, un jour, un individu à tromper son partenaire. Ce n’est pas l’objet de la chanson d’Orelsan. Son sujet est infiniment plus trivial. Il ne s’attache pas aux causes possibles, mais aux effets. Non à la raison, mais à la pulsion.
Ainsi, le rappeur décrit-il un homme (mais il aurait très bien pu s’agir d’une femme) qui découvre son nouveau statut de cocu et qui, tout simplement, en souffre… Quel scoop !
Et cette souffrance de s’exprimer à la fois par des sentiments de sidération, de haine et de refus de la situation nouvelle. Ces sentiments mêlés deviennent alors le champ clos et transparent de passions et de déjections verbales où la personne trompée accable de tous les maux et de toutes les outrances la personne infidèle. Ce que les jeunes exprimeraient ainsi : « Putain, t’aurais vu comme je l’ai pourri(e) ce gros connard / cette sale pute »).
Par conséquent, sur le fond, le discours moral, pour ne pas dire moralisateur, vis-à-vis de cette chanson apparaît totalement à contre emploi, même si certains confrères bloggeurs ont un point de vue totalement différent du notre.
La souffrance est en effet souvent quelque chose d’intime et de nombriliste. Et pourtant, elle n’est pas nécessairement muette (lorsqu’elle l’est, elle arrange souvent tout le monde). Elle peut au contraire s’extérioriser en diarrhée verbale et en mettre partout.
C’est comme si l’on se plaisait à dénoncer dans la souffrance exprimée dans les raps enlevés de Keny Arkana (qu’on adore) les germes typiques du discours paranoïaque (dénonciation de la conspiration, référence obsessionnelle à Babylone centre névralgique d’obscurs complots, complexe d’infériorité et solitude compensés par l’espoir d’une révolte du peuple, etc.) et un encouragement au désordre social.
Après tout, le procès d”intention que l’on intente à Orelsan, il est facile de le faire à d’autres.
Pourrir l’autre ou le rituel de la malédiction
Le personnage de la chanson d’Orelsan n’accomplit pas autre chose que l’un des plus vieux rituels humains : celui de la malédiction qui consiste à promettre à celle ou celui qui a fait du mal (à tort ou à raison) les pires abominations.
La Bible – qu’affectionne Madame Boutin par exemple – est truffée d’histoires où des prophètes accablent des pires malédictions ceux qui contreviendraient à la loi de Dieu (cf. Le Deutéronome 28).

Un tout petit peu plus près de nous, Saint-Paul, au nom de la loi d’amour, dont il s’était proclamé l’ardent zélateur, a écrit dans la première épître aux Corinthiens ce qui, aujourd’hui, n’aurait pas manqué de scandaliser Madame Valérie Létard, l’évanescente secrétaire d’Etat à la solidarité. Cette dernière vient en effet de demander, ni plus ni moins, aux dirigeants des sites de vidéo en ligne de retirer immédiatement le clip « Sale Pute » et de soutenir les associations qui souhaiteraient porter plainte contre le rappeur ! Il semble d’ailleurs qu’elle a été entendue par Youtube qui a restreint l’accès au clip vidéo.



Par conséquent, au mal répond le mal, fût-il disproportionné. Cette violence n’est pas non plus l’apanage des « banlieues », terme générique qui permet de désigner implicitement les catégories sociales les plus défavorisées et de stigmatiser infra verbalement les personnes d’origine étrangère (de préférence arabes et noirs). Elle touche tous les milieux sociaux, en ce compris les beaux quartiers. Comme l’a souligné Orelsan dans son clip vidéo, son personnage porte le costume cravate, accoutrement laissant supposer qu’il s’agit d’un homme parfaitement intégré dans la société.
La guerre des sexes II - Le retour
Le problème est qu’on essaie, par cette polémique attisée par des imbéciles, de provoquer un nouvel épisode de la guerre des sexes. Cette sexualisation à outrance des rapports humains a quelque chose d’inquiétant.
Tout être un tant soit peu intelligent sait bien que les hommes et les femmes ne se rangent pas en blocs monolithiques du côté des oppresseurs ou des opprimés. En effet, l’oppression sociale et idéologique masculine trouve souvent sa contrepartie sur le terrain affectif et privé, où de nombreuses femmes finissent, dans l’intimité d’une relation, par exercer une forme de dictature. Habituées à se poser en « victimes », elles ne se rendent pas compte de leur pouvoir opprimant. Simplement, dans nos sociétés démocratiques, c’est un sujet tabou.
Pour ne s’en tenir qu’à un seul exemple, on parle volontiers et à juste raison des femmes battues, mais on cache soigneusement la problématique des hommes battus (les coups ne sont pas nécessairement physiques, ils peuvent provenir aussi d’un harcèlement moral quotidien qui fait autant de dégâts).
La psychanalyste jungienne Jan Bauer fait ainsi remarquer dans un entretien accordé en mai 1996 au magazine canadien Guide Ressources :

« Comme si les femmes ne pouvaient avoir tort, comme si elles ne devenaient mauvaises que poussées par les hommes, à moins d’être, exceptionnellement, démoniaques ! Elles sont censées être toujours bonnes, toujours victimes. Non seulement cette façon de voir est-elle aberrante, mais, à la limite, elle nous enlève toute dignité. Pour qui veut parvenir à la plénitude, l’autocritique est essentielle […] Le grand défi pour les femmes est justement d’embrasser toute leur humanité, côté obscur et côté lumineux. »

On regrette vivement que le Parti socialiste prête son concours à cette mascarade par l’intermédiaire de sa secrétaire nationale aux droits des femmes.


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