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Le Libraire de Sélinonte

Publié le 29 mars 2009 par Lael69
Roberto Vecchioni
Le Livre de Poche
Traduit de l'italien par Gérard-Julien Salvy
124 pages

Sélinonte. Une petite ville de la Sicile. Théâtre d'un étrange phénomène...Un libraire ouvre sa librairie, remplie de vieux livres, cornés et empoussiérés. Ces livres ne sont pas à vendre. Etrange. Le libraire préfère les lire, à haute voix aux habitants du village. Tous les soirs, à 21h, la librairie est grande ouverte et quelques curieux viennent écouter le libraire qui lit de tout son coeur, de toute son âme. Mais la marginalité fait souvent parler d'elle, et le libraire est vite jugé, accablé. On dit qu'il est le diable. Nicolino, est un jeune garçon et il est curieux de ces racontars. Il veut aller écouter le libraire mais a néanmoins peur de sa réaction. Alors, en cachette, il se faufile à travers les piles de livres et écoute sans un bruit. Il est happé par le son de la voix du libraire, par son allure en totale connivence avec ce qu'il lit, il écoute les mots, comme une mélodie qui s'installe petit à petit dans son corps. Il ne peut plus s'en passer. Jusqu'au jour où une petite fille disparaît. Il faut peu de temps, hélas pour que le libraire soit accusé de cet horrible crime, et sans fondements, sans preuves ni procès, les habitants de Sélinonte détruisent sa librairie en y mettant le feu. Les livres sont le diable, il faut les détruire. Les pages brûlées s'envolent et le libraire oublié dans les confins de l'enfer. Erreur ou malédiction; après le drame, Sélinonte perd la parole, les mots s'échappent et le sens se perd. Seul l'adolescent, connaît le sens du langage...

Le Libraire de Sélinonte est un roman qui en dit long avec très peu. Le récit commence par la narration de Nicolino qui nous explique que Sélinonte a perdu la parole, les gens ne se comprennent plus et n'utilisent plus les bons mots pour désigner les choses. Sélinonte n'a, au sens propre, plus de sens. Puis le récit installe l'histoire. Le libraire, l'attraction et le mépris qu'il suscite chez les habitants du village. Nicolino nous montre à quel point il est fasciné par les lectures à haute voix. Etrange car la lecture à haute voix au Moyen-Age signifiait "lire au coeur". Et le lecteur, se prend également à être curieux. On se meut dans les paroles du libraire, le choix des textes n'est pas anodin. De nombreuses références littéraires telles que Luigi Pirandello, Fernando Pessoa en passant par Sophocle et ses Tragiques Grecs; Léon Tolstoï, Shakespeare et Dante, Arthur Rimbaud, Marcel Proust et pour finir Jorge Luis Borges. Le récit est foisonnant et tellement riche que l'on ne peut qu'être séduit par tant de bribes littéraires qui construisent une fascination et une curiosité chez Nicolino. Et quand la disparition d'une fillette survient, le récit prend une toute autre allure et devient fantastique. Une sorte de métaphore pour désigner la mort des mots qui tombent dans l'oubli en se jettant dans la mer. Noyés, les mots et les paroles. Le Libraire de Sélinonte est à la fois un récit d'amour pour les livres, un brillant hommage à la littérature, au plaisir qu'elle apporte, un récit d'apprentissage où Nicolino ressort intact de cette malédiction; un discours sur la perte du sens.

Roberto Vecchioni nous livre ici un récit poétique, mi-fantastique et richement métaphorique: le feu qui détruit les livres, n'est pas sans rappeler l'incendie de la bibliothèque dans Le Nom de la Rose d'Umberto Eco, le thème de la connaissance et du savoir lié au mal et au Diable...Un roman symbolique où le verbe "lire" prend tout son sens...


Le Libraire de Sélinonte
4,5/5 champignons

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