Pol-Henry Dasseleer, attaché de recherches au Centre d’études de sécurité et de défense de l’Institut royal supérieur de défense en Belgique, s’est spécialisé dans les rapports énergétiques internationaux et l’intérêt de son étude est de poser clairement la grille de lecture utilisée : « le point de départ de cette étude réside dans la primeur accordée au point de vue stratégique lorsque l’on en vient aux domaines énergétiques. Deux points fondamentaux nous permettent d’affirmer que les question relatives aux hydrocarbures ont quitté le domaine économique pour se situer dans la sphère stratégique. Le sentiment de manque, matérialisé par une augmentation de la demande mondiale et d’une stagnation de l’offre, couplé à une compétition énergétique mondiale a rendu le débat plus politique. Deuxièmement et parallèlement à la rareté de ces biens, ces derniers sont considérés comme centraux en ce concerne le processus de développement des différents pôles régionaux ».
Par conséquent, l’accès futur aux ressources énergétiques se fera sur une base économique certes, mais aussi et surtout sur des critères géographiques et politiques, d’où la primauté du géostratégique pour analyser ce secteur. Ainsi, l’auteur retrace les caractéristiques énergétiques russes et européennes pour donner quelques recommandations afin d’avoir une coopération énergétique optimale.
Pol-Henry Dasseleer rappelle que les huit ans de présidence Poutine n’ont en fait été que l’application de sa thèse, intitulée la planification stratégique du renouvellement de la base minérale et de matières premières de la région de Leningrad dans le contexte du passage à une économie de marché, obtenue à l’Institut d’Etat des mines de Saint-Pétersbourg, en 1997. Les informations récoltées sur la thèse de l’actuel premier ministre russe permettent à la fois de témoigner de son intérêt ancien pour ces questions stratégiques mais surtout d’éclairer le lecteur sur la structure de pensée de l’ancien président. Ainsi, le triangle énergétique russe actuel peut être résumé comme suit : l’Etat est à la base du pouvoir économique (planification étatique), création de conglomérats intégrés verticalement et entreprises détenues majoritairement par des nationaux, voire par l’Etat.
Gazprom, dirigé par Alexei Miller, est le résultat de cette politique, l’entreprise symbolisant le fer de lance de la diplomatie énergétique russe suite à une reprise en main par la clan Poutine. Pol-Henry Dasseleer explique assez bien les visées commerciales et diplomatiques de Gazprom et de la Russie, via la gestion de la rareté du gaz et les moyens de transport, en se basant notamment sur les travaux de Catherine Locatelli.
Toutefois, face au réalisme russe, l’Europe fait plutôt preuve d’idéalisme concernant sa politique énergétique, relativement marquée par une approche économique. Trois facteurs la caractérisent : la durabilité (volet environnemental de l’approche européenne de l’énergie. Le but est de réduire les émissions de gaz à effet de serre, responsables, en partie, du réchauffement climatique), la compétitivité (promotion de l’emploi et de la croissance en fournissant aux consommateurs une énergie sûre et abordable) et la sécurité de l’approvisionnement énergétique pour l’ensemble des Etats-membres (la réduction de la vulnérabilité extérieure de l’Union à l’égard de ses importations d’hydrocarbures). Par conséquent, il ne faut pas s’étonner que l’Europe soit désarmée face à une Russie totalement décomplexée dans l’utilisation de ses ressources énergétiques comme moyen d’accroissement de sa puissance.
Face à cela, l’auteur propose la création d’un observatoire énergétique continental afin d’assurer une coopération ambitieuse et vertueuse entre la Russie et l’Union européenne. La présidence serait partagée entre la Russie et la Commission. Cette coprésidence donnerait un poids politique important à l’observatoire dans la mesure où les activités de production, transit et distribution seraient correctement représentées. Cet observatoire pourrait aussi comprendre d’autres pays producteurs (Norvège et Algérie), de transit (Biélorussie, Ukraine et Turquie) ainsi que, bien évidemment, les entreprises privées (GDF-Suez, E.ON, ENI, etc.) ainsi que tous les états membres. Outre l’objectif d’assurer un approvisionnement suffisant à l’Europe sur le long terme et ce à un prix acceptable, l’auteur soumet l’idée d’une cogestion commune entre l’Union européenne et la Russie de leurs réseaux gaziers respectifs.
Néanmoins, cette proposition ne reflète-elle pas une certaine naïveté qui tranche totalement avec le titre de son étude et ses explications concernant le réalisme russe ? De même, la création d’un observatoire n’est-elle pas une réponse européenne typique, où l’on se base sur la norme et le consensus, alors que les problématiques énergétiques trouvent de plus en plus de réponses offensives de la part d’acteurs extrêmement réalistes ?
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