Gran Torino
Un film de Clint Eastwood (2008) avec Clint Eastwood & Christopher Carley
Résumé du Cinéphile Amateur : Walt Kowalski est un ancien de la guerre de Corée, un homme inflexible, amer et pétri de préjugés surannés. Après des années de travail à la chaîne, il vit replié sur lui-même, occupant ses journées à bricoler, traînasser et siroter des bières. Avant de mourir, sa femme exprima le vœu qu'il aille à confesse, mais Walt n'a rien à avouer, ni personne à qui parler. Hormis sa chienne Daisy, il ne fait confiance qu'à son M-1, toujours propre, toujours prêt à l'usage... […] Son quartier est aujourd'hui peuplé d'immigrants asiatiques qu'il méprise, et Walt ressasse ses haines, innombrables à l'encontre de ses voisins, des ados Hmong, latinos et afro-américains "qui croient faire la loi", de ses propres enfants, devenus pour lui des étrangers. Walt tue le temps comme il peut, en attendant le grand départ, jusqu'au jour où un ado Hmong du quartier tente de lui voler sa précieuse Ford Gran Torino sous la pression d'un gang. Walt fait alors face à la bande, et devient malgré lui le héros du quartier. Sue, la sœur aînée de Thao, insiste pour que ce dernier se rachète en travaillant pour Walt. Surmontant ses réticences, ce dernier confie au garçon des "travaux d'intérêt général" au profit du voisinage. C'est le début d'une amitié inattendue, qui changera le cours de leur vie...
Simple.
Confortable.
Clair.
Sans surprise.
Mais c'est Clint aux commandes, et c'en est bouleversant.
L’histoire est banale. Si l’on ne se prenait pas au jeu, si l’on n’était pas autant pétri d’admiration pour la dégaine fatiguée et pourtant si pleine de dignité de ce grand bonhomme, on saurait bien longtemps à l’avance comment cela va se terminer. A vrai dire, on s’en doute. Mais là où l’aura du personnage se manifeste, c’est que ce drame doux-amer au scénario vu des centaines de fois parvient encore à nous émouvoir. Parce que Walt, c’est Clint, c’est Harry, c’est Josey Wales, Thomas Highway, Frankie Dunn et toutes ces autres icônes eastwoodiennes (merci à mojo pour les références !) : un condensé affiché, transparent et dense de caractères entiers, dépeints avec une exquise brutalité par ce réalisateur décidément passionnant au cours de sa longue carrière. On peut parler de point d’orgue. Voire de testament, si on part du principe qu’il s’agit ici, selon l’aveu même de l’intéressé, de la dernière apparition de Clint à l’écran – sachant qu’il est déjà en train de mettre au point son dernier film sur Mandela. Le pire, c’est que c’en est tellement évident qu’on se fourvoierait presque, tant ce discours a été repris. L’écrire maintenant, c’est risquer la redondance.
Tant pis. Gran Torino était bon, diablement bon même. Sur une bande son précieuse s’achevant par la sublime chanson éponyme de Jamie Cullum & Don Runner, les images défilent comme un album-photo sans âge, avec ce même côté rassurant et suranné, mais aussi solide et stupéfiant. Walt est vieux, très vieux même : ses déplacements sont malaisés, sa respiration fluctue, sa peau parcheminée laisse transparaître son âge au travers des fanons sillonnant son cou fatigué. Il a pourtant cette rigueur dans la tenue, cette dignité presque futile qui le maintient raide et encore élégant à l’enterrement de sa femme, et incontestablement cool quand il en vient à affronter quelques voyous de bas étage, ou à siroter sa bière favorite sur sa petite terrasse. Un vieillard qui ne peut même pas penser à l’éventualité d’une maison de retraite, lui qui se rend encore si utile à la communauté, mais sait moins bien parler de sa vie que de la mort qu’il a côtoyée.
Un mal le ronge, un cancer spirituel qui l’empêche de donner un peu de l’amour que ses proches auraient mérité : raide comme la Justice, il attend l’implacable, l’inéluctable tout en le niant. Par rétro-action, on en vient à détester ses enfants et petits-enfants si futiles, niais et hypocrites, présentés avec tant de naïveté que c’en est tragiquement comique. Parce que Eastwood, c’et aussi cela, cette façon de montrer les bons et les méchants avec une aisance évidente tout en se contentant de grands traits parfois un peu appuyés. On repense alors à l’insupportable famille de Maggie, la boxeuse de Million Dollar Baby, qui s’était payée un séjour à Disneyland avant de passer la voir sur son lit de mort…
Une aisance évidente.
Tout le métrage se déroule ainsi, de manière évidente, naturelle, satisfaisant notre besoin de confort et de solidité éprouvée : l’histoire est sur des rails, écrite de toute éternité. Walt/Clint induit l’action, la précède, lui donne du sens : son être transfigure le rôle, son personnage illumine et bouleverse, emplissant l’écran, s’installant durablement dans nos mémoires. Il est sur le déclin, la corde raide. Régulièrement, comme un ressac lancinant, ce désespérant mais pourtant sympathique petit curé rouquin revient, le harcèle de questions insidieuses, le prie sans cesse de se confesser, tel l’Annonciateur de la faucheuse, un Ange de la mort christique. Or Walt a déjà accompli son chemin de croix, a déjà et depuis longtemps cuvé sa pénitence : ne reste que le passage à l’acte, à l’état supérieur, qui nécessitera une énergie sacrificielle et une volonté inébranlables. Pas besoin de courage pour celui qui a traversé les guerres. Juste encore un peu de temps, et de méthode.
Niant sa douleur, il trouvera la rédemption d’une vie où il a oublié de se livrer. Il trouvera la voie à arpenter. Au passage, il se fera des amis, réapprendra le goût du partage et des bonnes choses, les meilleures, celles qui sont données avec le cœur. Il peuplera ses derniers jours d’une chaleur qui a manqué à toute une existence emplie de néant.
Le film s’achève. Clint me manque déjà.