Conjuration Casanova
Un livre de Eric Giacometti & Jacques Ravenne, éditions Fleuve Noir 2006
Résumé, 4e de couverture : Paris. Un ministre franc-maçon est retrouvé prostré dans ses appartements à côté du cadavre de sa maîtresse. Sur son visage, la morte arbore une étrange expression d’extase amoureuse. L’affaire est confiée au commissaire Marcas qui va devenir la cible d’une conjuration visant à compromettre sa réputation. Cette fois, les puissants ennemis de Marcas pourraient bien être des frères en maçonnerie. Une journaliste profane et une « sœur » vont l’aider tandis que de nouveaux meurtres totalement calqués sur le premier se produiront en Andalousie, dans la demeure d’une actrice célèbre puis à Nice chez un très grand couturier. Marcas trouvera enfin le point commun à ces décès : les mémoires mystérieuses de Casanova dévoilant ses activités de franc-maçon de haut grade…
Il y a cependant un secret, mais il est tellement inviolable qu’il n’a jamais été dit ou confié à personne.
Casanova
Déjà, au fil de la lecture, on s’étonne du choix adopté pour l’accroche en 4e de couverture. On aurait tout aussi bien pu évoquer la manière atroce dont s’est achevée cette soirée dans une demeure cossue de Sicile, où des couples trouvèrent la mort sur un brasier dont les flammes goulues régalaient les pupilles de Dionysos, l’être malfaisant qui traverse tout l’ouvrage de sa silhouette particulière et sa détermination sans faille.
Conjuration Casanova ne s’embarrasse en effet pas vraiment de discrétion, ni de prudes subtilités : les auteurs ont choisi de décrire de façon suffisamment explicite les décès soudains comme les rapports amoureux. Oh, rassurez-vous, on ne baigne ni dans le gore ni dans la pornographie : on en est même plutôt loin. Tout au plus jugera-t-on qu’il s’agit de la volonté manifeste d’aller au fond des choses (sans jeu de mots laid) – à moins qu’on ne soit devant une stratégie plus bassement commerciale. Difficile à dire. D’autant que le style n’est guère élégant, s’alourdissant parfois inutilement dans des excès de maniérisme alors que les scènes d’action peinent à convaincre.
Les maîtres élus font plus fort encore : ils aiment la mort parce que celle-ci est le chemin unique qui mène à la perfection.
Rite maçonnique de Melissimo (1765)
De fait, et très vite, on se rend compte que la maçonnerie, la vraie, celle qui fut tant vilipendée par le passé, accusée de tous les maux et de toutes les accointances malvenues, cette franc-maçonnerie est bien au cœur de l’ouvrage qui se présente comme le palimpseste populaire d’un guide didactique. D’ailleurs, un glossaire maçonnique et quelques dossiers en annexe nous permettent de mieux naviguer dans ce milieu d’initiés unis par quelques principes surannés et des rites qui nous échappent. A la lecture du roman et des suppléments, on veut bien croire aux vertus de ces confréries dont la plupart mettent le partage, la fraternité et la solidarité en avant, au-delà même du secret et de la confidentialité qui sont leur apanage. On voudrait réhabiliter les « frères » qu’on ne s’y prendrait pas mieux.
Et l’enquête de Marcas dans tout ça ? Eh bien, elle avance, bon an mal an. Personne aigrie mais étrangement floue, il se voit vite privé des supports officiels qui lui avaient pourtant donné leur bénédiction au début de l’affaire (après tout, il fallait disculper le ministre et, surtout, ne pas éveiller les soupçons sur une loge quelconque) et ne peut donc guère compter que sur l’appui indéfectible d’autres maçons – qui s’avèrent tous, c’est un fait, extrêmement influents. Des pressions s’exercent, on veut au plus vite étouffer l’affaire, mais voici que réapparaît une survivante du massacre de Sicile, et Marcas se retrouve au beau milieu d’une énigme multiple qui s’englue dans les méandres mystiques où divination, ésotérisme et magie noire s’entremêlent en un écheveau auquel il ne trouve que peu de sens. Ce qui est certain, c’est que la jeune fille qu’il se charge de protéger est la cible d’un individu extrêmement puissant, dont le bras est aussi long que sa perversité est profonde. Petit à petit, un point commun commence à se faire jour : Casanova, dont un manuscrit attire aux enchères toutes les convoitises et qui semblait être l’inspirateur du sinistre Dionysos. Casanova dont les auteurs nous gratifient d’extraits alléchants de ce prétendu manuscrit, nous replongeant en un siècle où la volupté et le raffinement occupaient pleinement les esprits des personnages les plus sages.
Chaque homme, chaque femme est une étoile.
Aleister Crowley
Au final, l’imbrication des éléments ne convainc guère, les rôles sonnent faux et on s’étonne de la façon dont Marcas se tire d’affaire et monte à brûle-pourpoint, pressé par le temps et les événements, son ultime tentative pour déjouer la conspiration qu’il pressent dramatiquement fatale. Dionysos, une fois les masques tombés, ne dévoile qu’un être sans vraiment d’envergure dont la machination sent le moisi. L’ouvrage entretient péniblement le suspense, échoue dans les péripéties, manque cruellement de rythme mais parvient à satisfaire l’amateur de mystère, de secret, de complot, un peu à la manière d’un Da Vinci Code.