Le je musical
sur un livre récent de Thierry
Martin-Scherrer
Telle est la sensation que j’éprouve à découper les pages de L’Exil musical de Thierry Martin-Scherrer aux éditions Encre Marine. Ceux qui connaissent cet auteur délicat, publié aux éditions Lettres Vives, et Dumerchez pour l’exigeant Crayons pour un poème, reconnu des meilleurs, savent que la musique joue un rôle primordial dans son écriture. Invitation à tracer une ligne serpentine, une ligne de beauté parmi les méditations que nous offre l’auteur, appuyées sur des citations serties dans un cartouche en exergue des quelques pages qu’elles inspirent et qui si elles étaient assemblées, réordonnées, constitueraient plus poème que dictionnaire. L’introduction, brève, sous le patronage de Georges Steiner : « Qu’est-ce que la musique ? » pourrait bien être une façon de demander « Qu’est-ce que l’homme ? » pourrait être amplifiée de la manière suivante : la musique dont il sera ici question, et l’homme : de manière essentielle l’auteur qui a mûri pareil ouvrage et à son invitation le lecteur, qui petit à petit, entrera en connivence /confrontation avec ce qui lui est proposé. Je ne puis en cet endroit m’empêcher de penser au Combattimento de Monteverdi, au combat de Tancrède et de Clorinde tel que relu par Jouve, ou analysé par Christian Doumet, qui décèle dans cette parabole la leçon du corps-pour-autrui, inaccessible au langage ordinaire, à ce langage où s’affirme, vertical et isolé, le je qui s’y nomme.
Voici une belle promesse. Elle est tenue. Aux pages 254 à
260, nous sommes invités par un impératif à la première personne du
pluriel : Méditons ici le pouvoir des sons à instruire une enquête
subjective (nous – nous, le lecteur présent ou à venir, l’auteur - sommes
partis d’une citation de Valéry) : quel est ce je que comble telle musique
au-delà de son entendement ?
Thierry Martin-Scherrer d’ajouter : Cette intuition m’inspire de
reconsidérer l’étrange collaboration entre deux langages, celui des sons et
celui des mots, d’où sont nés mes livres –poèmes si l’on veut, en tant
qu’aventures verbales.
Et de relire à cette aune, je ne dévoilerai rien : La fenêtre immobile, Le poème élémentaire des bords de la nuit,
Le Passage de Marcel, Crayons pour un poème, Le fantôme de
Chopin. J’ajouterai juste qu’une discothèque précise tout comme une
bibliothèque sont requises, mais plus que tout une sensibilité, et une
perméabilité à une écriture qui ouvre le plus souvent hors texte sur une
dimension contemplative.
C’est donc une multitude d’essais (les citations qui donnent l’impetus, sont de
poètes, musiciens, philosophes, artistes, dont la dominante est le
contemporain) qui ont un orient : le dernier essai me semble en donner la
teneur, à partir d’une citation et de la musique de Franz Schubert et
rejoignant la méditation de Lévinas :
Semblable musique fait trace en moi du souci de l’autre quand sa souffrance à mon insu modèle mon visage vers lui.
Quelques unes des plus belles pages de Boutès1 ne viendront pas contredire cette Stimmung : p. 24, sur l’Hilflösigkeit, la détresse originaire, et le chapitre XVI, où Schubert à trois semaines de mourir se rend sur la tombe de Haydn dans la Memoria de la Bergkirche.
Qu’ajouter ? Encore Quignard : « Sans la musique certains d’entre nous mourraient. »
Thierry
Martin-Scherrer
L'Exil musical,
Encre Marine
35,00 €
Sur Thierry Martin-Scherrer, un portrait sur le site
de Guy
Allix.
Recensions par Jean-Paul Gavard Perret des livres Le
Fantôme de Chopin et de Crayons
pour un poème.
Contribution de Ronald Klapka
1. Pascal Quignard, Boutès, éditions Galilée,