Galerie d'art contemporain exclusivement dédiée aux projets "Arts-sciences", le Laboratoire a présenté jusqu'au 12 janvier 2009 le fruit d'une collaboration entre l'artiste japonais Ryoji Ikeda et le mathématicien américain Benedict Gross. Intitulée énigmatiquement "V≠L", cette exposition est construite autour d'oeuvres "où la définition du sublime s'accorde à l'immatérialité de l'infini" si l'on en croit le très complet dossier de presse réalisé par l'équipe du Laboratoire pour l'occasion.
Décryptage. "V" renvoie à l'univers de von Neumann, et "L" à celui de Gödel. "L'égalité ou l'inégalité de ces deux univers est un point contesté, et la position adoptée selon qu'on considère que V=L ou que V≠L en dit long sur la philosophie des mathématiques sous-jacentes. Si V≠L, alors tous les ensembles de nombres ne sont pas constructibles. La levée de cette restriction permet en revanche l'inclusion de nombres allant presque au-delà des limites de l'entendement humain. Davantage qu'une simple équation mathématique, l'expression V≠L inspire la contemplation de ce que nous ne pouvons pas percevoir et peut amener à une expérience transcendante du sublime." Voilà pour l'explication... de quoi laisser rêveur, même à la nième lecture ! Du point de vue artistique, cela se présente comme de grands tableaux de millions de chiffres minuscules (voir image ci-dessus) qui constituent l'écriture complète d'un nombre premier ou d'un nombre aléatoire. Ce qui m'a semblé remarquable dans cette exposition, c'est justement le "hors exposition", l'espace "médiathèque" qui jouxte la salle d'expo et qui donne, à travers plusieurs dispositifs de médiation, les clés de ce travail - sans pour autant le désenchanter !
Enfin une galerie d'art qui s'investit dans la médiation culturelle ! Sur le plan griffonné sur mon carnet (reproduit ci-dessus), on distingue les différents modes de médiation mis en scène dans cette médiathèque - dont tous les ouvrages, films et documents sont consacrés au travail des artistes présentés. Interviews, commentaires de Caroline Naphegyi la commissaire artistique, et de David Edwards, le fondateur du Laboratoire et du concept "Artscience", cours de math en vidéo, glossaire interactif, revues de presse, et surtout mur imprimé de la correspondance électronique de l'artiste et du scientifique, éclairent de façon lumineuse les œuvres exposées dans la salle d'à côté. Ce que nous avons tenté, à Grenoble, de réaliser lors de l'exposition InQuiétudes de l'artiste brésilienne Régina Trindade sans vraiment y parvenir, est en marche au Laboratoire, 4 rue du Bouloi, dans le 1er arrondissement à Paris. Sans pédagogisme. Sans désenchantement. En nous donnant accès aux échanges, réflexions, doutes et enthousiasmes (partagés ou non) d'un artiste et d'un scientifique pendant les quelques mois qui ont précédé l'ouverture de l'exposition, cette galerie va plus loin que simplement donner à voir ; elle permet d'approcher le (les?) processus de création. Une expérience dont de nombreux musées ou centres d'art contemporain devraient bien s'inspirer...
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www.lelaboratoire.org