Il y a la tradition et puis il y a la science. Quelles sont les conséquences de la consommation de vin sur notre santé ? La grande médiatisation de certaines études dédiées à ce sujet nous laisse à la fois perplexes et inquiets.
De nouvelles études sur le lien entre vin et cancer
Une étude de l’Institut National du Cancer (Inca), dont les résultats sont parus il y a plus d’un an déjà mais qui a été opportunément ressortie pendant les débats autour de l’adaptation de la loi Evin à Internet, ainsi qu’une autre (récente celle-ci) de l’Université d’Oxford au Royaume-Uni s’accordent pour conclure que la consommation de vin est cancérigène. Selon l’Inca, les risques commencent dès le premier verre. Encore une conclusion qu’on peut opposer au “French paradox” qui désigne l’apparente contradiction entre les pratiques alimentaires des français et leur santé. La diète typique du Sud Ouest est en effet globalement riche en matières grasses et en vin, voire en boissons alcoolisées, alors que la santé globale est bonne. Le taux d’infarctus est de seulement 80 pour 100.000 par an, soit quatre fois moins qu’aux Etats-Unis et l’espérance de vie est de dix ans plus élevée que dans le Nord de la France. Des études antérieures avaient émis l’hypothèse que la consommation de vin rouge à dose raisonnable (un ou deux verres par jour) prévenait le développement des maladies cardio-vasculaires ainsi que certains cancers. Qui écouter alors ? La publication d’une nouvelle grande étude française à ce sujet, la cohorte Color, nous permet de faire le point.
La cohorte Color
Cette étude analyse les liens qui existent entre consommation de boissons alcoolisées (vin, bière, alcools forts) et mortalité par différents types de cancers sur une cohorte de 100.000 personnes (du Nord Est de la France) suivies pendant 25 ans. Si l’alcool en général est bien un facteur de risque pour de nombreux cancers, la consommation modérée de vin rouge protège contre un certain nombre d’entre eux. L’analyse de la cohorte montre en effet qu’une consommation modérée d’alcool, plus particulièrement de vin, est associée avec une réduction de 40% de la mortalité cardio-vasculaire chez l’homme d’âge moyen. De la même manière le vin (et seul le vin parmi les boissons alcoolisées), consommé à la dose d’un à trois verres par jour chez l’homme est associé avec une baisse de 20% de la mortalité par cancers.
Parmi les facteurs de risque de mortalité par cancers, on trouve un niveau d’éducation bas, une tension artérielle élevée, un taux de cholestérol bas, le tabagisme, la sédentarité et le fait de ne consommer que très peu d’eau. Alors que plus la consommation d’alcool est élevée, plus le risque de mortalité par cancers augmente, la préférence pour le vin, et ce quelle que soit la dose d’alcool, est associée avec un risque significativement plus bas de mortalité par cancers (du poumon, du tube digestif, de la bouche et du pharynx). S’il existe un point sur lequel les études de l’université d’Oxford, de l’Inca et de la cohorte Color se recoupent c’est bien sur le fait que la consommation excessive d’alcool est dangereuse pour la santé et induit des cancers. Le phénomène de binge drinking qui consiste à se soûler en dehors des repas est de loin le comportement le plus risqué. Sur le reste, force est de constater que les conclusions divergent.
Des études sur/mal médiatisées
Un élément important, et étonnamment peu débattu, de l’étude d’Oxford est que l’augmentation impressionnante de 160% du risque de cancer des voies aériennes et digestives supérieures n’était observée que chez les fumeurs. Aucune augmentation significative n’avait été constatée chez les non-fumeurs. Par ailleurs, il est important de mentionner que l’étude a été réalisée au Royaume-Uni où la population locale présente des profils à haut risque étant donné la proportion de personnes ne mangeant pas une quantité suffisante de végétaux, consommant 15 à 30 fois plus d’oméga-6 que d’oméga-3 et restant inactives physiquement avec un excédent de poids.
Si la France est aussi gravement touchée par la “malbouffe”, l’ampleur du phénomène n’est pas aussi alarmant qu’outre-Manche : ce n’est pas tellement l’abus d’un facteur alimentaire particulier qui détermine l’exposition au cancer mais la qualité de l’hygiène de vie en général. S’il ne faut pas prendre ces études à la légère, il convient cependant de communiquer raisonnablement autour des résultats afin de ne pas tomber dans la désinformation. Une étude scientifique ne peut en effet pas être résumée à de grossiers raccourcis du style “l’alcool est cancérigène dès le premier verre de vin” et doit être présentée avec les hypothèses et le contexte qui ont déterminé sa démarche.
Des conclusions critiquées par les vignerons comme par la communauté médicale
Le professeur Henri Joyeux, chirurgien cancérologue de la Faculté de Médecine de Montpellier et spécialiste des relations entre nutrition et cancer déclarait que “l’étude [de l’Inca] confond les consommateurs réguliers d’alcools forts (whisky, gin, vodka) qui augmentent incontestablement leur risques de cancer de la bouche et de l’œsophage, surtout s’ils sont accompagnés du tabagisme” et les consommateurs de vin pendant les repas qui eux réduisent leurs risques de cancers et de maladies cardio-vasculaires. Il souligne au passage les aspects positifs pour la santé de la consommation de vin au milieu des repas comme une digestion facilitée, la prévention des infections urinaires et de la constipation.
Jean-Charles Tastavy, Président des Vignerons Indépendants de l’Hérault, étudie avec la communauté médicale la faisabilité d’une action en justice contre les méthodes et arguments utilisés dans cette affaire. Il a d’ailleurs déjà fait au nom de l’association “Honneur du Vin” un recours administratif auprès de la Ministre de la Santé. De son côté Vin et Société observe que si la consommation de vin en France a été divisée par deux en 50 ans, le nombre de cancers, lui, a doublé. Difficile donc de bien cerner les liens de cause à effet entre le cancer et la consommation de vin. En tout cas on peut raisonnablement dire que quels qu’ils soient, ils ne sont pas déterminants. Il est dès lors préférable de ne pas éclabousser la presse d’informations erronées afin d’éviter qu’elle diffuse des idées totalement disproportionnées.