Réflexion autour des “memes” et de leur importance sur le Web

Publié le 27 mars 2009 par Michael Pierlovisi

Quel peut être le point commun entre le chapeau que portait Aretha Franklin lors l’investiture de Barack Obama, le coup de gueule de Christian Bale lors d’un tournage et la vidéo d’un petit garçon revenant de chez le dentiste et qui fait fureur sur Youtube ? Ce sont des « memes », des buzz qui se différencient singulièrement du bourdonnement habituel de leurs congénères et des campagnes de communications Online initiées par les marques.

Cela fait un petit bout de temps que le projet de rédiger une note synthétique ces « memes » et le rôle qu’ils peuvent jouer dans l’émergence de buzz ou de vidéos virales sur le Web, me trotte dans la tête.

La tâche n’est pourtant pas des plus simples. Le terme “meme” est anglo-saxon ( je n’ai d’ailleurs toujours pas trouvé de traduction française satisfaisante pour l’instant) et a fait son apparition en 1976 l’ouvrage The Selfish Gene du biologiste anglais Richard Dawkins qui le présente sous la forme suivante :

“a cultural unit (an idea or value or pattern of behavior) that is passed from one person to another by non-genetic means”.

En francais, il s’agit d’un ensemble culturel – organisé autour une idée, d’une valeur commune et/ou d’un schéma comportemental - se transmettant entre les individus de façon non biologique (entendez par là de manière communautaire voire sociologique).

Plus simplement, nous pourrions considérer les « memes » comme des éléments indépendants culturellement, ces micro-organismes communautés, portant en elle tous les éléments pour regrouper des personnes autour de valeurs et d’interprétations communes (on retrouve ici des éléments de la réflexion de Max Weber sur la nation) d’un sujet, d’un évènement ou d’une information précise. En poussant la simplification aux limites de la caricature, nous pourrions dire que le « meme » est un phénomène de mode regroupant un certain nombre d’individus qui se retrouvent en communauté pour le partager.

Un « meme » se caractérise par 3 éléments indissociables :

1) Un mode de propagation viral. La transmission se fait rapidement et manière pandémique entre les individus. Le « meme » ne prend pas uniquement naissance sur les Web mais les médias sociaux, notamment le services de partage vidéo tels que Youtube, facilitent grandement sa naissance et son développement.

2) Une fonction auto-créatrice. De par sa nature et les individus qui le partagent, le « meme » est son propre créateur de contenu. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne peut pas bénéficier ou intégrer du contenu externe mais les membres qui le composent sont capables de le développer en l’enrichissant de nouvelles idées, informations, valeurs, symboles, etc.

3) Un embryon communautaire. A son stade initial de développement, le « meme » n’est bien souvent qu’une idée, une vidéo dénichée sur Youtube voire une simple image ou une phrase. Mais parce qu’il attire des individus et les fédère autour d’un ou plusieurs éléments communs, il porte en lui les éléments premiers d’une communauté. Tous les « memes » ne donneront pas naissance à une communauté mais je suis convaincu que toutes les communautés intègrent un ou plusieurs « memes ».

Aretha, Christian, David et les autres au coeur des « memes »

Comment un « meme » peut-il bien prendre forme ? Prenons l’exemple, d’Aretha Franklin. Contrairement aux apparences, ce n’est pas sa prestation lors de l’investiture de Barack Obama qui a généré un « meme » mais son chapeau. En l’espace de deux jours, ce délicieux accessoire, exubérant certes mais terriblement mediagénique, a généré de très nombreuses conversations sur le Web, se propageant par le biais d’articles, d’images et de vidéos.

Par sa nature auto-créatrice, ce « meme » ne s’est pas contenté de vivre sur le contenu original mais a donné naissance à de nouvelles images : people et homme politiques qui, par la magie de Photoshop, arborent désormais fièrement leur propre chapeau Aretha Franklin, ce dernier disposant même de son propre compte sur Twitter.

Il y a très peu de chances que phénomène Aretha Franklin donne naissance à une communauté (quoi que sur Internet, tout est possible) mais les retombées sont très concrètes. Son créateur affirme en avoir vendu plus de 5000 exemplaires (à $ 179 pièce tout de même) et jamais il n’aurait pu espérer un tel succès si le « meme » ne s’était pas cristallisé autour de cet accessoire.

Autre exemple dans un autre domaine. Sur le tournage du prochain Terminator, l’acteur Christian Bale, a totalement perdu son calme lorsqu’un membre de la production a perturbé sa concentration au cours d’une scène « à fort potentiel émotionnel ». Résultat : un lynchage en règle de près de 4 minutes diffusé sur Youtube. Autour de ce monologue, les premiers éléments du « meme » se mettent en place : des citations quasi cultes (« we are done professionally», « You don’t shut up for a second! », « shut the fuckup », etc.), la mise en ligne de vidéos intégrant la bande son et des images de l’acteur dans ces précédentes productions mais aussi, et surtout… la création de nouveaux contenus.

A partir de la première vidéo (que l’on considèrera comme la version originale avec près de 500 000 de lectures ), de nombreuses variantes seront mises en ligne en l’espace de quelques jours dont un remix techno qui explose la barre des 30 millions de lectures (!), une version lip dub avec un vrai acteur (466 000 lectures) ou encore un mix (mashup) avec un autre « meme » qui commençait à prendre forme : la vidéo d’un jeu garçon revenant de chez le dentiste après une anesthésie locale assez « musclée » (David After Dentist).

Cette dernière, avec plus de 16 millions de lectures, poursuit en parallèle son développement puisqu’elle a également le droit à son remix (plus de 3 millions de lectures), à une version avec Dark Vador (3,2 millions) ou encore à sa suite intitulée David after divorce (300 000).

En plus de leur rapide propagation, les « memes » présente donc l’incroyable avantage de pouvoir, à l’instar des molécules, se combiner entre eux et se diviser afin d’entretenir leur propagation. C’est cette fonction d’auto création qui les distingue des vidéos virales classiques qui, passé l’attrait de la nouveauté, meurent progressivement. Leur durée de vie est certes plus longue mais, à moins de donner naissance à une communauté ou être intégrés par une déjà existante, ils sont également condamnés à mourir à court terme… en attendant les prochains.

Si vous cherchez d’autres exemples de « memes », pensez à la célèbre experience Diet Coke + Mentos et au nombre de fans qui l’ont tenté chez eux, le fameux Fast Food freestyle réalisé au Drive-in d’un MacDonald’s et qui a donné naissance à plus de 600 variantes.

La place des agences et des annonceurs

Les agences et annonceurs peuvent-il être à l’origine d’un « meme » ? Oui, même si les exemples sont très rares. Celui du phénomène Wassup de Budweiser est sans aucun doute le plus représentatif puisqu’il a été le cri de ralliement de nombreux fans durant plusieurs mois.

Les agences et annonceurs peuvent-ils s’appuyer sur un « meme » existant pour communiquer ? Oui, à condition de savoir les identifier. Il aura ainsi fallu attendre près d’un an pour qu’ Electronic Arts réagisse à la vidéo publiée en aout 2007 dans laquelle deux amateurs du titre Tiger Woods PGA Tour 08 mettait en avant un bug du jeu permettant à Tiger Woods de marcher sur l’eau (baptisé Jesus Shot).

Afin d’assurer la promo de la version 2009, le studio n’a pas hésité à mettre en scène le vrai Tiger Woods et le faire marcher sur l’eau : It’s not a glitch. He is just that good. Au final, cette vidéo de promotion a réussi à générer trois fois plus de visibilité que la vidéo originelle avec quasiment 3 millions de lectures.

Agences et annonceurs ont donc tout intérêt à étudier de près l’importance et l’évolution des « memes ». Bien trop petits pour être aussi voyants que les communautés, ils disposent d’un cycle de vie court qui nécessite bien souvent un temps de réaction rapide afin de pouvoir bénéficier de leurs effets.

Attention toutefois à ne pas oublier que ce sont avant tout des mouvements spontanés, généralement peu contrôlables et dont les effets peuvent être indésirables… Pour preuve la polémique qui enfle avec le tout récent « meme » d’un jeune garçon qui a trouvé le moyen de « fumer » ses Smarties et dont le nombre d’adeptes grandit sur Youtube.

Dans ce cas, là comment une marque peut elle gérer ce type de communication ? Doit-elle fermer les yeux, attendant patiemment la fin du cycle et espérant limiter les dommages collatéraux ou réagir ? Une chose est sûre, la question se posera pour d’autres dans les prochains mois et dans d’autres termes…