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Madagascar à la fin du mois de mars…

Publié le 27 mars 2009 par Chantalserriere

C’était à la fin du mois de mars 1947 .

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Comme l’écrit Jean Luc Raharimanana , il est encore très difficile de parler au grand jour de l’insurrection malgache de 47. En témoigne l’impossibilité de jouer sa pièce aujourd’hui dans les Alliances Françaises de l’île!

Cette révolte pour l’indépendance qui va durer 21 mois  sera réprimée dans le sang par la puissance coloniale. Beaucoup de héros, d’héroïnes anonymes, dans cette période de terreur, errent dans la forêt. Lors de mon dernier séjour à Madagascar, j’ai rencontré l’une d’elle: Bao.

“Bao dans la forêt. Elle se cache. Elle a vingt- deux ans et vient d’accoucher d’un petit garçon. Elle a peur. Elle a marché longtemps hors des sentiers. Avec sa machette, sa mère qui l’accompagne coupe des lianes enchevêtrées et elles avancent dans la profondeur de la jungle, Bao, son enfant endormi dans son dos recouvert d’un lamba de couleur, la mère, guettant à l’arrière les bruits de poursuite ou le trottinement obstiné d’un chien familier qui risque de les trahir. Bao a peur. Elle s’effondre au pied d’un ibbizia géant et allaite l’enfant aussitôt qu’elle le sent bouger, de crainte qu’il ne s’éveille tout à fait et ne se mette à pleurer. Personne n’a voulu l’aider dans sa fuite, à cause de l’enfant et du risque de repérage qu’il peut provoquer par ses éventuels pleurs. Le mari de Bao est recherché comme activiste dans la fameuse nuit du 29 mars 47. Il a dû fuir avant elle, avant l’accouchement imminent. Et depuis, elle a peur. Et elle aussi s’est enfuie. Le premier jour, sa mère l’a conduite au cœur de la forêt, installée dans un creux de feuilles et est repartie à la recherche de nourriture qu’elle lui apporte à la nuit tombée. Elle fera cela chaque nuit. Et Bao passe de longs jours seule avec son enfant aux pleurs silencieux sous l’abri végétal qui les protège des hommes devenus fous.

L’histoire de Bao m’est contée par Alexandre, tandis qu’elle écoute, acquiesce en hochant la tête et que ses yeux s’emplissent de la terreur éprouvée lors de la fuite et de la vie solitaire qui lui ont été imposées. Son visage très mobile exprime ce qu’elle ne peut dire en français. A l’époque, elle n’habitait pas la case actuelle. Elle résidait dans un autre village, plus au sud, près de Manakara, mais c’était cette forêt qui entourait le village, cette forêt dans laquelle elle a couru se cacher. Je ne m’étonne guère que son fils Alexandre, né en 56, bien après ces événements mais qui a été bercé par le récit épique, ne puisse chasser cette même forêt de ses rêves obsessionnels.”

Extrait de Pangalanes

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si, aujourd’hui, des Français apprennent sans révolte les méthodes que d’autres Français utilisent parfois envers des Algériens ou des Malgaches, c’est qu’ils vivent, de manière inconsciente, sur la certitude que nous sommes supérieurs en quelque manière à ces peuples et que le choix des moyens propres à illustrer cette supériorité importe peu.

Albert Camus, dans l’article de Combat du 10 mai 1947


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