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Anthologie permanente : Giuseppe Bonaviri

Publié le 27 mars 2009 par Florence Trocmé

" Là où il associe le vers et la prose, Bonaviri est le plus novateur. [Dans L'incominciamento], il alterne les proses et les poèmes noués autour d'un thème identique. Deux traitements stylistiques résultent de ce parti pris. Comme si prose et poésie était sommés de mêler leurs attributs pour chanter la louange du créé ou, encore, interpréter les mystères. Bonaviri part du moi privé pour finir par évoquer la palpitation de l'univers dans un mouvement panique [...] Puisant dans les métaphores médicales et scientifiques, le médecin-écrivain Bonaviri renouvelle vigoureusement le langage poétique. Il greffe la tradition littéraire sur l'oralité tout en faisant un large usage des dialectes siciliens et des archaïsmes. Il se veut ubiquitaire et atopique. "
Philippe di Meo, extrait de l'introduction à un choix de traductions de L'incominciamento, publiées dans l'un des deux numéros spéciaux de la revue Po&sie, consacrés à la poésie italienne, ″30 ans de poésie italienne″, 1, p. 163.

Harmonie
Si l'idée du temps - du Timée de Platon à Saint Augustin et, de ces derniers, jusqu'à Kant et Newton − nous a conduits, tout au long des siècles, au sentiment du projet de Heidegger et aux relations des mouvements, aux variations électromagnétiques d'un champ selon Einstein, elle demeure pour moi liée au souvenir d'un temps immobile et sphérique dont me parlait mon père. Tailleur lorsqu' il était jeune, dans la Grand'Rue 1 de Mineo, homme des plus timides, silencieux, plutôt sombre bien que prompt à des colères soudaines.
Lorsque nous regardions depuis le haut plateau de Camuti, où explosait le vent mêlé au blé, me montrant face à nous, au-delà de la vallée d Fiumecaldo, notre village, qui s'arrondissait sur la montagne, en splendeur, il me disait : " Écoute, Pippino, Mineo est devant nous avec ses artisans qui travaillent, avec les femmes qui sans s'interrompre vaquent à leurs tâches quotidiennes ; et, en contrebas, dans les vallées, dans le jointures des cimes doubles, et sur les hauteurs, travaillent les paysans ; ou, encore, les chèvres cherchent leur nourriture parmi les maquis et les sommets dépourvus d'arbres. Si avec ton esprit, tu assembles le tout à l'aide de fils, de soie par exemple, et le couds, comme je le fais pour un costume, dans la même aiguillée, tu emmêles artisans, paysans, femmes, bêtes et arbrisseaux. Autrement dit, tu obtiens un temps rond, parfait, qui en chacun de ses points vibre circulairement d'harmonie. "
Enfant, ce jeune homme, mon père avait écrit des poèmes que j'ai publiés, du moins ceux qui ont survécu, dans une plaquette intitulée L'Arcano (Ed. Bibò, Fr.). D'après ce volume, je cite quelques vers qui reflètent cette intuition d'un temps sphérique, qu'un animisme et une pensée magique voulaient syncrétique : " Entendez, c'est un chant suave/d'enfants qui dans la journée/fragrante, monte comme par enchantement/dans l'air parfumé./C'est un chant joyeux/qui à traves champs s'égare/dans l'air flottant/il se cherche, se trouve, se confond. " (Le 20 octobre 1919, lorsqu'il écrivait ces vers, mon père avait dix-sept ans). Certes, tandis qu'à cette époque à Mineo les femmes tissaient du lin, ou appelaient des centaines de poules et de coqs dispersés par les pentes, avec des cris comme " chicchiì, chicchiì ", ou encore " puripò, puripò ", dans ce temps omniprésent où, parce que contemporains, tous les êtres non divisés par la mort étaient vivants, Achille devait combattre à Troie, tandis que vers le règne de Cambay, marchaient les chameaux et des marchands, portant de l'encens, des épices, des dattes et des vêtements d'or.

Harmonie
Les fourmis contournaient une aire de battage
ronde où en deux mille cercles, l'âne
suivait le lent paysan chanteur,
joyeuse était la pie sur l'olivier.

Toute blanche, parmi des sauterelles
et des grillons, dans l'été indolent,
en guirlande d'épis, et grottes gonflées
de racines, marchait la déesse Cérès.
Le chevrier jouait de la cornemuse qui ivre
reparcourait le cristal de roche et les pentes,
les aiguilles des tailleurs résonnaient
d'ardeur, le poisson était assoupi dans les abîmes.

Sur les tuiles brisées en cramoisi et fils d'or,
le maçon coiffait des gouttières ;
auprès du torrent Xanthos au lit rouge,
Achille dormait sous la forteresse de Troie.

Un coq chanta vers le noble règne de Cambay,
le potier travaillait de jaunes argiles selon les règles
de l'art, depuis un noyer, d'une voix mélodieuse,
la voix du pic rejetait des pièces d'argent

Giuseppe Bonaviri, extrait de L'incominciamento, traduction de Philippe di Meo publiée dans l'un des deux numéros spéciaux de la revue Po&sie, consacrés à la poésie italienne, "30 ans de poésie italienne ″, 1, p. 16

Bio-bibliographie de Giuseppe Bonaviri.

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1 Cf. Giuseppe Bonaviri : Le Tailleur de la Grand'Rue, L'Imaginaire, Gallimard (N.d.T.).


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