L'Ecrivain, par Mehmet Myftiu

Publié le 26 mars 2009 par Alain Bagnoud

Mehmet Myftiu est albanais. Héros de guerre, né en 1930, il rejoint à 12 ans la Résistance albanaise, est pris, enfermé dans le camp de concentration de Prishtina par les nazis, échappe de peu à une exécution, et lutte pour l'avènement du communisme, auquel il croit fermement. Enfin, la guerre finit, le régime qu'il appelait de tout son cœur arrive et dans l'Albanie libérée, il devient journaliste.
La suite est dans L'Ecrivain, roman autobiographique dont le manuscrit lui a valu l'attention d'Enver Hoxha lui-même, fondateur du Parti communiste albanais en 1941 et président de la République populaire d'Albanie de 1945 jusqu'à sa mort, le 11 avril 1985. « Comment permettez-vous à cette personne d'écrire? » a hurlé le président après avoir pris connaissance du manuscrit que son secrétaire politique, ami de Mehmet Myftiu, lui avait passé. Aussitôt dit, aussitôt fait: l'auteur perd son statut d'intellectuel et d'enseignant, se retrouve vendeur de cigarettes pendant vingt-cinq ans, et interdit de publication jusqu'à la chute du régime, en 1990.
Mais qu'y a-t-il dans ce roman qui lui a valu ainsi l'ire de Hoxha? Eh bien le récit des doutes qu'a eus Mehmet Myftiu. Il se dépeint sur le nom de Besnik, vainqueur d'un concours littéraire, qui rejoint l'Union des écrivains, écrit un roman selon les règles du réalisme socialisme, puis se met à dévier. Un de ses amis, Hysen (Kasem Trebeshina) est accusé d'anticommunisme, condamné (il passe 25 ans en prison), parce qu'il ne respecte pas l'esthétique officielle. Besnik le défend dans une lettre, se retrouve donc dans un camp de travail forcé avec ses anciens ennemis, les fascistes du roi Zog, et son obligation de les fréquenter transforme un peu sa vision stéréotypée. Il découvre que malgré leurs idées politiques différentes, ce sont des êtres humains aussi, avec qui on peut communiquer et pour qui on peut éprouver un sentiment de la fraternité.
C'est ce passage qui, semble-t-il, a rendu Hoxha véritablement enragé: les fascistes devaient être décrits comme des monstres, des chiens, des araignées syphilitiques, il ne pouvait y avoir aucun point commun entre eux et le bon communiste qu'était resté malgré tout Mehmet Myftiu. Lequel, gracié, retourne vers ses amis du parti, croyant que désormais, il va pouvoir écrire librement, désireux qu'il est de faire progresser la littérature albanaise et de créer un véritable réalisme socialiste. Las: il est déclaré malade psychique après le roman L'Ecrivain.
Le grand intérêt de ce livre, que j'ai trouvé passionnant, c'est de nous montrer cette ambiance exotique du communisme stalinien. Exotique, étouffante, insupportable, d'une pauvreté intellectuelle incroyable, d'une sottise et d'un simplisme hallucinants, où toute pratique, toute expérience doivent se calquer sur une théorie idéale qui deviendrait, à l'application, source de niaiserie et de grotesque si elle ne mettait pas les gens au camp de travail, ce qui prête moins à rire.
Le livre est salutaire et intéressant en ce qu'il nous rappelle la réalité des régimes autocratiques, même s'il est écrit dans une forme un peu surannée: focalisations papillonnantes, psychologie vague, définitions des nombreux personnages à l'emporte-pièce, jusqu'à celle du héros principal, esquissé à grands traits, sans vrai souci d'une analyse précise, ce qui rend parfois ses réactions bizarres, notamment en ce qui concerne ses rapports avec les femmes.
Des caractéristiques qui viennent de la formation littéraire de Mehmet Myftiu, du réalisme socialiste qui l'a nourri, ce qui, d'ailleurs, ajoute encore au charme du roman. C'est le cas de le dire: ici, la forme reflète le fond.

Mehmet Myfiu, L'Ecrivain, Editions d'en Bas/Les Editions Ovadia