EL ÚLTIMO LECTOR
traduit de l'espagnol (Mexique) par François-Michel Durazzo
Présentation de l'éditeur
"Au nord du Mexique, la sécheresse frappe le village d'Icamole. C'est là que Lucio, devenu bibliothécaire par la grâce d'un projet gouvernemental, nage dans un océan de fiction. Il lit chaque
titre avec fureur ou délectation, laissant à tout moment les récits empiéter sur la réalité.
Quand son fils lui révèle qu'il a découvert le cadavre d'une fillette dans son puits, c'est dans la littérature qu'il cherche une explication. N'est-elle pas l'héroïne de la Fille du
télégraphiste ? ou la Babette d'un célèbre roman ? L'enquête policière tourne autour des révélations du bibliothécaire et éveille la curiosité de la mère de l'enfant, grande lectrice elle
aussi...
Un roman jubilatoire, où toutes les interrogations sur les enjeux de la fiction nous ramènent à la grande tradition du réalisme magique sud-américain des Garcia Marquez ou Juan Rulfo."
L'auteur
David Toscana est né à Monterrey au Mexique en 1961. Marqué par l'influence des classiques espagnols et par des écrivains latino-américains comme Onetti ou Donoso, il a publié à ce jour cinq romans et un recueil de nouvelles. Son œuvre est largement traduite en anglais, mais aussi en allemand, arabe, grec, portugais, italien et suédois.
El último lector a été couronné par les prix Colima, Fuentes Mares et Antonin Artaud France-Mexique. Ce roman est traduit pour la première fois en français.
Coup de coeur!
Un truc vertigineux! Un véritable hymne aux livres, à la lecture, un roman d'une originalité inédite!
Un roman dont les phrases se sont fichées droit dans mon coeur de lectrice pour en activer les artères et nourrir mon âme. Voilà, il est né celui qui m'a inspiré cette phrase! Fou, non? (quoi ça veut rien dire?!)
Rien de pompeux pourtant chez David Toscana. A un moment, un des personnages dit de l'auteur fictif d'un roman qu'il a lu: "il a découvert une prose à la beauté sobre, sans mots ni drames de trop." C'est e-xac-te-ment mon sentiment par rapport à cet auteur et ce récit, il y a ce quelque chose qui me rappelle d'ailleurs vaguement Philippe Claudel.
Mais soulignons déjà le talent du traducteur, François-Michel Durazzo, qui y est forcément pour beaucoup dans mon appréciation de ce roman fabuleux. La seule question qui me turlupine par rapport à son travail, c'est pourquoi il a gardé le titre original. Pas très dérangeant mais curieux car ce n'est pas comme si le titre était intraduisible.
Passons sur cette question et exposons ce qui m'a époustouflée dans ce roman!
-> le style déjà, dont je parlais plus haut, qui m'a happée d'un coup dans l'histoire dès les premières lignes.
-> l'habileté de l'auteur à construire une intrigue où la fiction prend le pas sur la réalité.
L'histoire tourne en effet autour d'un homme, bibliothécaire dans un petit village mexicain, qui
1) ne jure que par les livres
2) ne voit la réalité qu'à travers le prisme des romans qu'il a lus.
(j'ai trouvé très beau par ailleurs sa quête à travers les livres explicitée vers la fin du roman).
-> s'ajoute à cela l'originalité de la construction du récit où l'auteur ne s'embête pas à prévenir son lecteur qu'il passe de la réalité à une lecture ou à un souvenir d'un passage d'un roman fictif, pas plus qu'il n'applique les artifices habituels du code conventionnel de l'écriture où l'on délimite un dialogue par des guillemets ou un tiret.
C'est très fort car, bien que déstabilisant - surtout les passages de la réalité à la fiction sans crier gare - on assimile très bien ce mode narratif, comme quelque chose de naturel.
En effet, c'est, quand on y pense bien, la retranscription exacte de ce que nous vivons en tant que lecteur, un instant nous sommes dans cette réalité qui nous entoure, peuplée de divers événements, et la seconde d'après, nous pouvons être plongés dans un livre, faisant un avec l'histoire qui s'y déroule, sans transition avec la réalité que nous oublions parfois ainsi.
Quant aux dialogues, de même que l'un des personnages arrive à suivre une discussion dont il est exclu, n'étant pas dans la même pièce que les autres:
"le ton de chacune de ces voix lui a suffi pour savoir qui parlait, sans avoir besoin de spéficier chaque fois: dit Lucio, dit la licenciada, demanda l'un, répondit l'autre, s'exclama-t-il, condamna-t-elle, exposa-t-il, expliqua-t-elle."
.... l'auteur parvient à retranscrire parfaitement les dialogues de son récit, sans avoir recours aux guillemets et très rarement à "dit machin", demanda truc", au milieu d'actions descriptives diverses, et franchement, je trouve ça très subtil quand j'y pense bien.
J'ai beaucoup aimé les remarques très avisées, perles de réflexion, qui traversaient ce récit, des considérations sur des thèmes divers. Entre autres:
- des réflexions sur les enjeux de la fiction à travers des écrivains et romans imaginaires dont les critiques du bibliothécaire les rendent criants de vérité, on y croit car on arrive plus ou moins à les identifier à des romans qu'on aurait lus ou qui pourraient exister, et à se projeter dans le regard critique du bibliothécaire (c'est d'ailleurs le regard que l'on applique à ce roman alors même que son intrigue se déroule sous nos yeux - j'adore ce genre d'effet miroir!).
- les comparaisons de styles d'un auteur à l'autre sont aussi savoureux -> comment un bon auteur aurait parlé d'un événement par exemple, comment un autre aurait massacré cet instant en s'attardant sur des détails pesants juste pour montrer sa science, qu'il est à la mode etc...
Ce sont des commentaires très éclairés d'un lecteur sans complaisance, j'ai adoré, ainsi que les "chutes" de chaque chapitre qui réflète l'autodérision chez l'auteur.
J'étais écroulée de rire aussi quand il s'est attaqué à l'auteur supposé de la Bible, la construction des phrases, la façon dont il les aurait réécrites, sa consternation devant l'audace et l'insolence de cet auteur face à son éditeur, j'ai trouvé ce passage excellent et hilarant!
J'ai trouvé intéressant également les réflexions sur l'expérience de l'écrivain qui parle de choses qu'il n'a pas vécues, l'acte du meurtre par exemple, ainsi que sur les romans qui mentent en racontant des histoires qui n'arrivent jamais: des romans où on arrête toujours l'assassin, ou le policier refuse la corruption...
"Dans ces romans, on soulage le tuberculeux et on sauve l'alcoolique, et l'auteur reçoit des prix aussi immérités que tous les prix."
J'ai aimé aussi le personnage de ce bibliothécaire incompris des autres villageois, seul dans sa compréhension du Livre.
Ici, les réflexions de ces derniers au sujet des livres:
"Les romans ne racontent que des choses qui n'existent pas, des mensonges. Si j'approche ma main du feu et que je me brûle, lui dit un homme, je me brûle. [...] Si je bois de la tequila, je me soûle, mais un livre, ça ne fait rien, à moins qu'on me le jette à la figure!" ()
Un passage que j'ai adoré aussi, c'est le traitement qu'il réserve aux "mauvais" livres (selon ses critères): un aller simple en enfer, enfer incarné par les cafards auxquels sont destinés ces ouvrages:
"Toutefois c'est précisément ce mépris qui l'encourage à les élever et à les nourrir dans la pièce voisine où il jette les livres censurés, considérant que telle doit être leur fin ignoble. Le feu ne lui semble pas un châtiment approprié, car il confère à un livre prétentieux l'utilité de produire de la chaleur, la gloire de devenir lumière. L'enfer doit être quelque chose qui consume lentement, parmi l'urine et les mâchoires qui avec ténacité réduisent en miettes couvertures, jaquettes et photographies d'auteurs immortalisés, les hommes dans une pose intellectuelle, les femmes dans leur désir de beauté. [...]"
(J'ai eu une pensée furtive pour l'autobiographie de Nabokov qui a failli alimenter un barbecue ... pardon à ses fans...)
Et tant d'autres choses, je n'ai même pas parlé de Babette, ni de sa mère, ni de Remigio, ni de l'intrigue autour de laquelle s'enroulent toutes ces réflexions, ni de la dénonciation en filigrane d'une police mexicaine aux méthodes douteuses, j'aurais pu recopier tout le roman tellement il y a de choses à souligner, annoter, à en dire.
Roman très riche qui suscite des réflexions très variées tout en étant très divertissant, drôle, pas prise de tête bien que la construction en soit très subtile, et qui devrait parler à tous les lecteurs.
A tous les lecteurs? J'en étais convaincue jusqu'à ce que je tombe sur les critiques, plus mitigée de Kathel, voire assassine de Yspaddaden, et Midola a abandonné dès les premières pages. Il a cependant gagné les faveurs de Keisha sans qu'il soit coup de coeur pour autant.
(suis-je encore la seule? ) Aha! Que vois-je? Pagesapages a été également séduite et on se comprend avec Edwood! (aaah! )