Les premières fois il se contentait de plier les genoux en rythme. Petit ressort de joie, il plissait le front, sérieux, concentré, rejetant de temps en temps ses cheveux en arrière sans interrompre son mouvement. Alors je lui donnais des indications : "maintenant on danse avec les bras, on danse avec la tête, on danse avec les fesses, on bouge les pieds."
Quand j'ajoutais Et maintenant on danse avec tout à la fois, il avait un soupçon d'hésitation, il semblait frémir. Puis, parce que nous lui donnions l'exemple, il se mettait à remuer de tout son corps, perdant la pulsation d'enthousiasme.
Nous allions rarement au bout de la chanson. Aux derniers couplets, il se jetait par terre, roulait et exigeait que nous fassions la même chose.
"Non, protestions-nous.
- Pourquoi ? disait-il.
- Et bien, nous sommes vieux, nous ne pouvons pas nous jeter au sol comme ça, répondions-nous.
Ou bien :
- Nous sommes trop grands. Tomber de notre hauteur serait trop impressionnant. Et puis nous risquerions de nous faire mal."
Après un instant de stupéfaction il décidait que nous devions bouger encore. Tous les trois, en rond dans le salon, les yeux dans les yeux, nous dansions.
Mercredi dernier, je suis allée dans une école de danse du quartier me renseigner sur les cours pour les enfants de quatre ans. L'hôtesse m'a répondu avec indolence en mâchouillant son chewing-gum. Elle n'avait plus de prospectus et de toutes façons les inscriptions ce serait en juin ou même en septembre. En sortant, j'ai expliqué à Zacharie :
"Je me suis renseignée pour les cours de danse pour toi. Pour l'année prochaine... Ça te plairait ?
D'un coup, il a tourné les talons. Il est entré dans le bâtiment.
- Mais où vas-tu ? ai-je demandé.
- Je vais en cours de danse.
- Mais ce n'est pas maintenant !
- Je veux y aller maintenant !"
J'ai dû lui faire rebrousser chemin en larmes.
Désormais c'est lui qui dicte la chorégraphie :
"On danse avec les bras, on danse avec les jambes, on danse avec les mains. On danse avec la tête, dit-il en faisant ce si joli mouvement du cou. On danse avec les yeux. On danse avec la langue. On danse avec le nez. On danse avec le front.
Nous rions, je m'écrie :
- Je pense que mon fils va révolutionner la danse contemporaine plus tard."
Nous tournons, virons, glissons, sautons.
"Et maintenant on danse avec tout à la fois !"
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Illustration : Julie Blackmon